Regards croisés des historiens camerounais sur Achille Mbembe

7 mars 2014

Regards croisés des historiens camerounais sur Achille Mbembe

Le congrès de  l’Association des Historiens Camerounais devenu « Société Camerounaise d’Histoire » s’est tenu du 27 Février au 01er Mars 2014 à Maroua. Plusieurs débats ont émergé de ce congrès. L’un des plus interessants aura certainement été celui relatif aux « regards croisés des historiens camerounais » sur l’historien et politologue Achille Mbembe. Ce dernier vit depuis plusieurs décennies hors du Cameroun. Il s’est installé il y a quelques années à Johannesburg en Afrique du Sud où il est membre de l’équipe du Wits Institute for Social & Economic Research (WISER) de l’Université du Witwatersrand.  Il a publié aux éditions La Découverte en Octobre 2013 un essai intitulé Critique de la Raison Nègre.

Achille Mbembe.   © François Van Zon via flickr.com
Achille Mbembe. © François Van Zon via flickr.com

Je reprends fidèlement les propos de Christian Fouellefack sur son mur facebook au sujet des propos de ces historiens. Christian Fouellefack est doctorant en Histoire à l’Université de Yaoundé 1 et enseignant au département d’Histoire de l’Université de Dschang. Il a participé au congrès des Historiens de Maroua. Au cours du récent congrès de Maroua, à la question de savoir : Devons- nous considérer Achille Mbembe comme étant un historien contestataire ? Trois maîtres répondent en substance:

Pr Taguem Fah, Université de Ngaoundéré : Contestataire ou non, Mbembe est sans doute le meilleur chercheur camerounais de ce siècle. Il est suffisamment dense et ses travaux scientifiques sont largement répandus. De nombreux colloques et autres symposium sont organisés dans le monde autour de ses travaux. Il est vrai qu’il devient de plus en plus difficile de le situer clairement parce qu’il s’appuie sur d’autres sciences notamment la philosophie pour écrire certains ouvrages.

Pr Daniel Abwa, Université de Yaoundé I : Mbembe n’écrit plus l’histoire. Le fait historique n’intéresse plus Mbembe. La recherche de la réalité historique n’est plus sa préoccupation. Il ne va pas dans les archives pour récolter des données. Il utilise l’histoire pour ses réflexions.

Pr Saibou Issa, Université de Maroua : Mbembe est un agitateur d’idées, pas un historien contestataire. Il puise beaucoup dans la philosophie de Heidegger et utilise la transdisciplinarité pour diffuser ses idées.

Il est ainsi clair que pour Daniel Abwa, président de la Société Camerounaise d’Histoire, Achille Mbembe a cessé d’être Historien puisqu’il ne va plus au Archives pour récolter les données. Tandis que pour Saibou Issa qui est le secrétaire exécutif de la même société, Mbembe est plus un agitateur d’idées.

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Commentaires

Nabali
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Je commence par m'interroger sur le bien fondé de la question. Je considère que tous les historiens sont des contestataires. Sauf si les enquêteurs veulent réduire la contestations à la subversion politique... Ces trois perceptions, professeurs d'histoire,ne doivent pas occulter d'autres vues. L'histoire, comme d'ailleurs plusieurs sciences humaines, ne fournit pas les résultats identiques, même quand l'on use de la même méthode. Ainsi, je n'admets pas que l'action de consulter les archives doit se ressentir dans la production de manière identique. L'utilisation des disciplines comme l'anthropologie, la philosophie ...renforce le travail de l'historien et ne l'éloigne pas de la recherche de la vérité.

Ulrich Tadajeu
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Merci pour le commentaire Nabali. "L’histoire, comme d’ailleurs plusieurs sciences humaines, ne fournit pas les résultats identiques, même quand l’on use de la même méthode." Bien dit!

enoka ferdinand paul
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bonjour M.ulrich. je commencerais d'abord par vous féliciter pour le travail que vous faites. il est en tout point remarquable. pour la polémique sur M.achile mbembé, les choses ne me semblent pas assez exactement rendues. en effet vous savez bien que chaque déclaration n'a de sens que le contexte qui les a produit. j'ai l'impression qu'on veut pousser achille à croire que quand on se reuni au cameroun ce n'est que pour parler de futilités du genre achile mbembé est-il historien? comme j'ai assisté aux travaux de maroua, je puis dire qu'achile n'a été évoqué que lorsqu'il s'est agi de savoir qui pouvait être membre de la société camerounaise d'histoire. un congressiste, le dr hondie a posé la question de savoir si la société serait ouverte aux historiens contestataires comme mbembé. donc les propos d'historiens contestataires sont de lui et non des profs ou des autres membres de l'assemblée. de plus tous ont reconnu la qualité des travaux de mbembé avant de donner chaqu'un son opinion sur la tournure actuelle de ses recherches. enfin, je n'ai pas cru entendre qu'il y avait exclusion dans cette société car on a cité beaucoup de journalistes et d'hommes de culture ayant écrit sur l'histoire du cameroun sans en être historien. on a également insisté sur tout ce qu'on doit à achile sur l'upc. travaux d'une incroyable densité. je crois à mon sens que c'est dans ce sens que l'on doit voir les choses au lieu de chercher à chaque fois à opposer les gens.

Ulrich Tadajeu
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Merci pour votre passage par ici Enoka. C'est un réel plaisir. J'espère lire tes commentaires assez souvent! Je suis au courant et j'ai en tête le thème central et je sais également que Mbembe n'était pas le sujet central de ce congrès. Mais, loin de vouloir opposer les uns et les autres et créer la polémique, j'ai juste voulu mettre sur la scène publique un débat d'histoire entre les ténors de cette science, sans arrière-pensée. J'estime qu'il est temps qu'il est temps que des réels débats d'histoire inondent la scène publique, sinon, on restera un peu comme incompris. J'aimerais réitérer quelque chose: l'idée n'est pas d'opposer les gens, mais simplement de susciter le débat, et pas des moindre. Un débat qui, s'il est bien entretenu, aboutira à la réponse de la question suivante: qu'est ce que l'histoire? Qu'est ce qu'être Historien? Voilà tout mon voeu!

Badiane
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Il est plein temps de reconnaitre que l'homme ne peut etappréhendé par une seule discipline (l'unidisciplinarité). Parce que les faits humains sont complexe, divers, multidimensionnel. D'où la nécessité d'utiliser ou faire dialoguer plusieurs disciplines pour étudier les faits humains : on parle alors de pluridisciplinarité et interdisciplinarité). Toute discipline qui s'aventurerait à n'utiliser que ses propres moyens, méthodes de recherche, perdra sa vigueur et sa rigueur, sans doute. Dans cet élan de rapprocher les différents domaines de savoir, la littérature comparée est pionnière, en ce sens qu'elle est un carrefour où se rencontrent toutes les sciences humaines et sociales dont l'idéal est des passer les frontières des différences entre les cultures en privilégiant l'inter. Parfois, le comparatiste porte le manteau de l'historien en faisant une étude diachronique : en cela des travaux scientifiques sont nombreux. A. Mbembé combattant des absoluté et totalité convoque plusieurs moyens pour lire, comprendre l'Histoire. Pour moi, le problème n'est pas de savoir si Mbembé est historien ou pas; l'importance est de vérifier ses thèses sur l'aune de la raison historique. Tadajeu a bien raison d'interroger, aujourd'hui, le rôle de l'Histoire et l'historien. L'ouverture des mondes entraine directement l'ouverture des savoirs; la fermeture serait une peur de la confrontation, de l'enchevêtrement, du tremblement à l'age de la mondialisation. Finie l'illusion de la pureté méthodologique, disciplinaire; il faut sortir de sa cage à la rencontre des autres. On voit des philosophes littéraires, des littéraires historiens...

adam
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bonsoir, le cercle des historiens, j ai lu avec intérêt la question soulevée lors du colloque de Maroua par un des participants à propos de Achille Mbembé est il historien ou non. A mon avis, il n'est assez intéressant d’évoquer ce genre des questions dans un monde purement intellectuel et scientifique. l'essentiel à mon avis, c'est de chercher à savoir en quoi pourra contribuer à la compréhension de l'histoire les publications de Achille Mbembé dans le domaine de l'histoire. C'est parc que aujourd’hui on parle de la pluridisciplinarité dans tous les domaines du savoir. Donc, il ne sert à rien de faire la question entre les historiens professionnels et ceux qui ont appris les faits historiques de façon isolée.

ALAIN MINKANDA
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Sans être historien, le philosophe garde la prétention, du point de vue épistémologique, de se prononcer sur ce qui fait la scientificité d'une science, l’historicité de l'histoire. voilà pourquoi je m’en mêle. Pour dire que les grandes intelligences sentent le besoin de transcender les barrières conventionnelles qui isolent leur discipline, afin de puiser dans les savoirs autres qui permettent une intelligibilité accrue du réel, ici du réel historique. Encore que l'histoire, même s'il y a cette prétention de recourir aux archives, reste une construction du sens des faits qui se sont produits selon les lentilles de celui qui se propose de le faire. Et encore faut-il s'interroger sur ce qu'on entend par archives. Dans les sociétés de l’oralité, ce serait quoi les archives? Mbembe se rend a l’évidence qu'il importe de puiser dans l'ethnologie ou l'anthropologie, dans la philosophie, s'il veut aller aussi loin possible dans la recherche du sens de l'histoire. Ne restons pas figés dans nos définitions académiques qui me rappellent singulièrement le débat qui a longtemps opposé soi-disant philosophes et prétendus ethnophilosophes. Drôle que les historiens camerounais semblent n'avoir pas été attentifs a cette controverse, aujourd'hui délaissé par les philosophes parce que stérile.