Démocrat(ismes) africaines!

29 mars 2014

Démocrat(ismes) africaines!

Le collègue mondoblogueur Agbadje Adébayo Babatoundé  Charles  a fait une belle analyse au sujet des révisions constitutionnelles actuellement en cours sur le continent africain dans un de ses billets. Il a  indiqué à ce propos que la démocratie « est en perte de vitesse en Afrique ».  Cela suppose qu’elle avait pris une certaine vitesse. C’est peut-être vrai. Depuis 1990 et les fortes revendications populaires en Afrique, la démocratie se cherche encore. Malgré les revendications du peuple, le chemin parcouru n’a pas été si considérable. A la place de la démocratie, certains dirigeants ont servi le démocratisme. Une forme biaisée de la démocratie, une démocratie de façade à l’intérieur de laquelle persiste un autoritarisme, des dictatures subtiles et sévères. Celles-ci ont fait des inégalités, du manque de liberté leur marque de fabrique. Au début de la décennie 1990, un président français disait que la « démocratie est un luxe pour l’Afrique ». 24 ans plus tard, on est sur le point de se demander s’il n’avait pas raison ? La démocratie n’est-elle pas un luxe pour l’Afrique ? Il ne s’agit pas des peuples africains qui, d’une certaine manière, veulent cette démocratie. Mais de l’élite gouvernante. Est-elle prête pour la démocratie ?

crédit image: camer.be
crédit image: camer.be

L’actualité récente au sujet de la révision constitutionnelle, de la toute-puissance du pouvoir exécutif sur les deux autres pouvoirs  (Judiciaire et législatif) confirment que les élites africaines ne sont pas encore prêtes pour la démocratie, si oui le démocratisme. Elles ont toujours à cœur les plans dictatoriaux de privation de liberté, de modification de la loi fondamentale qu’est la constitution. Peut-être que, comme Platon, elles se disent que le bas peuple n’est pas apte pour la démocratie. Puisque la démocratie comme la Politique selon platon serait l’affaire des philosophes, donc des élites. Car lorsque les constitutions sont adoptées, elles sont censées être souveraines. Elles peuvent être amendées en cas de besoin. Le besoin ici n’est pas celui d’un « individu éclairé », « président fondateur », mais pour l’intérêt général, l’intérêt du peuple. Qu’est-ce qu’on observe ? Les constitutions sont modifiées pour qu’un vieillard, un papi, un monsieur qui a fait plus de 20 ans au pouvoir se présente à nouveau aux élections afin de continuer sa mission. Elles sont taillées sur mesure pour servir les intérêts d’un groupe de personnes.

Dans certains pays, les dispositions constitutionnelles relatives à la limitation du mandat présidentiel sont modifiées alors que dans le même temps, les dispositions relatives à la déclaration des biens des élus et des ministres ne sont pas respectées. Si ce n’est la démocratie de façade, ce que Mathurin Hougnikpo appelait le démocratisme, qu’est-ce que c’est ? Depuis plus de 20 ans, les Etats africains si on peut parler d’Etat ont fait semblant d’être des démocraties en présentant des éléments de forme de la démocratie (multipartisme, multi-presse, constitution, séparation des pouvoirs) mais dans le fond, elle reste un mythe. Les populations africaines n’ont pas le sentiment d’être souveraine. Malgré les différentes souffrances qu’elles endurent, comment comprendre qu’elles continuent de renouveler leur confiance à des satrapies ?

Ce qui se passe en Afrique depuis plus de deux décennies est une trahison du peuple par les élites. Celles-ci veulent rester indéfiniment au pouvoir même quand la mort frappe à leur porte. La décennie 1990 qui augurait des lendemains meilleurs s’est transformée en cauchemar avec des dirigeants qui ne lâchent pas prise. Dans cette logique, à défaut des formes constitutionnelles d’accession au pouvoir, la violence sera encore un mode d’accès au pouvoir. Comme on dit souvent, « à défaut du cheval, on prend l’âne. » Si ceux qui sont au pouvoir ne respectent pas la constitution, qui d’autre le fera ? Si la démocratie n’est pas une réalité en Afrique, on observera toujours une forme de démocratie qualifiée par certains de « démocratie au bazooka ». Nous ne le souhaitons pas. Les dirigeants africains doivent poser des actes politiques afin de les anticiper. Ils doivent respecter la loi fondamentale qu’est la constitution, cesser de se prendre pour des « élus de Dieu » ou des « Messi » qui auraient une mission sacrée pour le peuple. Et tant que cette mission n’a pas été accomplie, ils ne quittent pas le pouvoir. Ils doivent s’interesser davantage aux souffrances du peuple.

S’ils ne le font pas, le peuple prendra ses responsabilités. François Mitterrand déclarait à ce sujet qu’un « dictateur n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi ». Comme je l’ai toujours pensé, le peuple a le dernier mot. Il doit, quand cela est nécessaire, sanctionner les élus. Et si ça ne suffit pas, il peut utiliser tous les moyens nécessaires pour avoir sa liberté, pour sortir des chaines de ces satrapies. Car, la liberté est inhérente à l’homme. Il ne faut pas être d’une couleur de peau précise pour avoir droit à la liberté. L’égalité doit régner dans les sociétés d’hommes. Il ne s’agit pas de la propriété des sociétés occidentales comme veulent nous faire croire certains pseudo-panafricanistes.

De toutes les façons, comme le martelait Achille Mbembe en 2010, « si les Africains veulent la démocratie, c’est à eux d’en imaginer les formes et d’en payer le prix ». Parce que, poursuit-il, « personne ne le paiera à leur place, ils ne l’obtiendront pas non plus à crédit ». Si les Africains, entendus ici comme les peuples et les élites, ne le font pas, le continent continuera de sombrer dans une démocratie de façade avec toutes les conséquences politiques, économiques et sociales que ça implique.

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