Ulrich Tadajeu

Pour ces supporters, Sierra-Leone et Ebola ne font qu’un

 

L'execution de l'hymne national avant le match Cameroun-Sierra-Leone.  Crédit image: Ulrich Tadajeu.
L’execution de l’hymne national avant le match Cameroun-Sierra-Leone. Crédit image: Ulrich Tadajeu.

J’étais au stade omnisports Ahmadou Ahidjo hier, 15 octobre 2014 pour regarder le match de la 4ème journée des qualifications pour la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2015 entre le Cameroun et la Sierra-Leone.

Le match s’est bien déroulé puisque le Cameroun a gagné sur le score de 2 – 0. Mais ce qui m’a irrité c’est l’attitude des supporters qui ont passé le temps à dire « Ebola » lorsqu’un joueur Sierra-Leonais touchait le ballon ou tombait. Certains ont parlé de « blague » ou encore « d’inconscience ». Même si c’était le cas, doit-on ainsi blaguer avec ce genre de maladies au point d’identifier une équipe à elle? Si c’était dans un stade européen, on aurait crié au racisme sur tous les médias? En tout cas, cette vidéo sera plus expressive que les mots. Chacun peut se faire sa propre idée.

Allant dans le même sens, voici ce qu’un utilisateur camerounais du réseau social facebook a écrit sur son mur:

Ebola

C’est peut-être une blague mais comme on dit souvent, c’est une blague de mauvaise odeur.


Nous sommes tous inégaux!

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Aujourd’hui, c’est le Blog Action Day. Le thème de cette année c’est l’inégalité. A ce propos  la société camerounaise est une société inégalitaire. Je ne sais pas pourquoi. Mais des indices le confirment. Je suis  allé à une conférence récemment quelque part dans la ville de Yaoundé.

Lorsqu’un individu entrait, on lui demandait   » qui êtes-vous monsieur ?  » Ou alors « vous êtes là en tant que qui ?  » Si vous faites partie de la haute société, si vous êtes une autorité connue ou si vous venez en tant que le frère, le cousin, l’ami de tel ou tel autre, on vous souhaite la bienvenue en vous accordant une place d’honneur. Cette attitude collective normalisée et acceptée par tous m’a permis de me poser la question : sommes-nous égaux ?  Les institutions sociales n’inscrivent-elles pas l’inégalité dans notre esprit au point que nous les légitimions et acceptions cela comme norme?

 Dans tous les milieux sociaux (stades, écoles, bars, salles de conférence…) et de plus en plus dans les églises, il y a la place, l’espace des riches et celui des pauvres. Dans les écoles, il y a l’école des riches et celle des pauvres. Même si riches et pauvres dans des cas exceptionnels peuvent se rencontrer aux répétitions. En général, le fils du riche a son répétiteur à domicile. Il y a certes des spécificités, mais ce sont des exceptions qui confirment la règle. Dans les stades, c’est la même chose. Il y a les places des hautes autorités, celles des basses autorités et enfin celles de ceux qui ne sont rien puisqu’ils ne sont ni issus du sang royal ni proches de celui-là. C’est la même réalité dans les salles de soutenance, dans les salles de conférences. A ce niveau, le décor est toujours hiérarchisé. Ceux qui sont des personnes ou parlent en tant que représentants de personnes ont les premières places. Les autres n’étant ni issus, ni proches de la royauté restent derrière. Au bar, c’est un peu différent. En fait, chacun s’assoit là où ses moyens le conduisent. Mais comme d’habitude, les poissons s’asseyent entre eux, les éléphants entre eux. Dans les rues, les riches roulent dans leur propre voiture, les pauvres vont dans les transports en commun. Les uns ont leurs quartiers, les autres ont également les leurs. En fait, d’une inégalité plus hard comme on a connu par le passé, on est passé à une inégalité  soft. Celle-ci est admise par tous comme étant la norme.

Toutes les luttes sociales sont issues du fait que certains (les pauvres) veulent renverser l’ordre établi et d’autres (riches) veulent maintenir cet ordre en le reproduisant sur leurs descendants. La conséquence est que les riches et les pauvres n’échangent jamais ensemble. Et donc, chacun a son cadre de vie, il peut difficilement se lier d’amitié avec quelqu’un d’un rang social différent puisque tout les différencie et les éloigne. C’est la triste réalité. Je ne m’attends pas à ce que ça change vu que le corps social se retrouve dans ce cadre-à. Je constate juste que malgré les discours et autres vœux pieux, nous sommes condamnés à être inégaux.


Sur les traces de Ruben Um Nyobè

La tombe de Ruben Um Nyobe. Image: Ulrich Tadajeu
La tombe de Ruben Um Nyobe. Image: Ulrich Tadajeu

Une semaine après l’excursion à Akometan, je suis allé sur les traces de Ruben Um Nyobe, pionnier de l’indépendance et de la Réunification du Cameroun. C’était hier, le 12 Octobre 2014. Avec les blogueurs camerounais et autres web activists dans le cadre d’une excursion organisée par Florian Ngimbis, nous avons visité le cimétière où se trouve la tombe du « Mpodol » comme on l’appelait. C’est-à-dire celui qui parle pour les autres. Car, le 17 décembre 1952, Um Nyobe est allé à la tribune des nations unies pour parler pour les autres, pour parler des souffrances des Camerounais. Je suis donc allé sur ce lieu rempli d’émotions et de souvenir. Souvenir d’une souffrance, souvenir des souffrances de Camerounais qui ont eu une vision pour ce pays, ces Camerounais qui étaient prêts à tout donner pour la libération des autres.

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Nous y sommes allés pour retourner aux sources non pas lointaines mais récentes de ce que nous sommes. Parce que, quoiqu’en disent les dirigeants postcoloniaux, ce sont eux qui ont posé les fondations de la nation camerounaise. Partir sur les traces de Ruben était un acte de reconnaissance personnelle mais aussi d’engagement personnel pour ne pas éteindre la flamme qu’il a allumée. Peut-être que les moyens ne seront pas les mêmes parce que les contextes ont changé. Mais la liberté pour laquelle il se battait n’est pas toujours une réalité. Lorsque je parle de liberté, certains verront directement les relations France-Afrique. Non, même le frère restreint désormais la liberté pour son frère. C’est de ça qu’il s’agit. Des jeunes de l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants (ADDEC) sont actuellement brutalisés dans leurs universités et dans une commissariat du Cameroun parce qu’ils ont défendu leurs droits ainsi que ceux des autres étudiants. Ils ont parlé pour les autres dans un état où l’auto-censure empêche les gens de s’exprimer librement. Est-ce pour cette liberté à géométrie variable que s’est battue Um Nyobe? Non, ça ne l’est pas. En refusant de parler de lui, en restreignant les libertés, le régime camerounais continue d’assassiner ce parent mort pour la liberté du Cameroun.

La brousse dans laquelle se trouve la tombe de Um Nyobe. Image: Ulrich Tadajeu.
La brousse dans laquelle se trouve la tombe de Um Nyobe. Image: Ulrich Tadajeu.

A Eseka, nous avons vu où est enterré Ruben Um Nyobe. Nous avons vu la brousse dans laquelle se trouve sa tombe qui, ailleurs, serait un monument ou un musée. Mais non, c’est une brousse, une tombe qui passe inaperçue. Mais, l’action des blogueurs et web activistes camerounais est pleine d’espoir . Elle montre que les jeunes sont prêts à connaitre leurs sources, leurs origines sans l’autorisation de qui que soit. Elle montre qu’on peut utiliser les réseaux sociaux pour poser des actions de changement. Elle montre que Ruben Um Nyobe est là. Il est présent. Il n’a pas besoin que naissent d’autres Um Nyobe mais plutôt d’autres Camerounais animés par un désir: contribuer au progrès de la communauté chacun à partir de son domaine de spécialisation. Que ce soit l’étudiant, l’ouvrier, le balayeur de rue, l’ingénieur, l’enseignant…, ton action doit avoir cette finalité. Je dois tout de même reconnaître que les jeunes de notre temps ont une chance: les réseaux sociaux. Faisons bon usage et profitons-en!

NB: #RememberUmNyobe sur twitter pour toutes les infos et images à propos de cette excursion.

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Avec maman Marthe, la femme de Um Nyobe.
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Derrière la tombe de Um Nyobe.


Cameroun: Où est la liberté d’expression?

Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/
Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/

La différence entre le régime Biya et le régime Ahidjo (l’ancien président camerounais) est que sous le régime Ahidjo, il était officiellement connu qu’il n’y a pas d’idées différentes. Il y’a « un seul parti, un seul chef, une seule nation », il n’y a pas de multipartisme. Lorsque tu penses différemment, soit tu te tais, soit tu vas dans une de ces prisons de répressions (Tcholirré, Yoko…) C’était une censure hard et officielle. Depuis le retour au « multipartisme » avec Paul Biya, on assiste à une existence officielle de l’expression de la différence. Mais dans les faits, c’est tout autre chose. La pensée unique est restée dans les mémoires, dans les esprits et dans les actions.

Au début des années 1990, Paul Biya en personne dans un de ses discours appelait déjà les Camerounais à choisir entre le « Renouveau et le chaos. » Récemment, lors des échéances électorales ou des événements importants, on a observé un régime qui peine à admettre les idées différentes. Pour eux, l’opposant est un « ennemi », un « marchand d’illusions » ou un « apprenti sorcier ». Bref, celui qui exprime son idée, parce qu’elle est différente, est marginalisée et parfois brutalisée. Et du coup, lorsque quelqu’un veut émettre des idées différentes, soit il s’auto-censure lui-même, soit c’est son entourage qui lui fait toute sorte de sermon. Mais où est donc la liberté d’expression tant chantée? On peut s’exprimer de diverses manières. Ce peut être en parlant, en manifestant…

Au sujet des manifestations par exemple, au Cameroun il y’a des manifestations qu’on autorise et celles qu’on n’autorise pas. Si vous voulez mobiliser des jeunes élèves et étudiants pour faire des louanges au président de la République toute la journée nonobstant le fait qu’ils soient en train de faire cours, vous êtes très vite encouragés. Une autorisation est délivrée. Si vous voulez marcher sur un campus universitaire (qu’on dit apolitique) avec des vêtements du parti au pouvoir sur vous et des banderoles de louange à Paul Biya, on ne dit pas que l’Université est apolitique. Sur le champ, on vous encourage parfois. Si vous voulez faire une marche de remerciement, rédiger une motion de soutien au président de la république, sur le champ, vous avez l’autorisation. Mais lorsque vous voulez exprimer votre mécontentement face à un problème crucial dans le respect strict des lois républicaines, l’autorisation vous est refusé. Lorsque vous voulez revendiquer vos droits comme c’est le cas avec les étudiants de l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants Camerounais (ADDEC), vous êtes tout de suite réduits au silence par tous les moyens. Ce sont vos proches qui vous demandent de vous méfier ou alors de faire attention. Et quand il s’agit par exemple de s’exprimer sur des questions relatives au manque d’eau, d’électricité, la qualité des soins dans les hôpitaux, certains se taisent au lieu d’exprimer ce qu’ils pensent de peur d’être brutalisés par le régime au pouvoir au Cameroun.

Les étudiants de l’ADDEC qui ont fait de la défense des droits des étudiants leur cheval de bataille depuis 10 ans maintenant font régulièrement face à cette situation. Récemment, deux d’entre eux Thierry Batoum (Ecole Normale Supérieure de Yaoundé) et Barthélemy Tchaleu (Ecole Nationale Supérieure Polytechnique) ont été exclus pour deux ans de leurs écoles respectives. Officiellement, il est reproché à Thierry Batoum d’avoir « [fraudé] à l’examen de fin de premier semestre de l’année académique 2013/2014, [incité] à la désobéissance, actes contraires à l’éthique universitaire. » Comment un étudiant peut-il avoir fraudé à un examen quelques temps après qu’il ait été déclaré admis au niveau supérieur? Thierry Batoum a présenté lors d’une conférence à la Librairie des Peuples Noirs à Yaoundé tous les documents qui montrent qu’il est admis au niveau supérieur. Il s’agit, selon lui, d’un assourdissement du mouvement estudiantin qui a manifesté sa désapprobation après l’augmentation de la pension à l’Université de Yaoundé 1 pour l’obtention de la carte d’étudiant et pour l’assurance. Le 10 Octobre dernier, après la publication de la déclaration de l’ADDEC face à cette situation, Barthélemy Tchaleu et Nana Clovis ont été arrêtés par la police et conduits au commissariat du 5ème arrondissement à Ngoa-Ekelle où ils ont passé la nuit. Selon certaines sources, on leur reproche de « distribuer des tracts et de s’entretenir avec les étudiants au sujet de l’exclusion des leaders de l’ADDEC. »

Il s’agit là des jeunes qui ont décidé de dire ce qu’ils pensent sans complaisance ni haine, sans brutalité, sans que ce ne soit de la manipulation. Mais juste parce que c’est injuste que dans un pays où les étudiants n’ont pas de bourses, on continue d’augmenter la pension sous prétexte qu’il faut la carte d’étudiant, la carte de restaurant. Lorsqu’ils le font, ils sont toute suite réduits au silence. Quelqu’un demandait lors d’une conférence récemment: « Et si Njoya revenait? » Je réponds: il ne serait pas fier de cette société dans laquelle la liberté d’expression a foutu le camp, une société dans laquelle on n’envisage pas le différent comme un alter ego mais plus comme un ennemi. Et vous parlez de liberté d’expression. Un autre mensonge!

NB: ce billet est dédié aux étudiants de l’ADDEC (Thierry, Barthélémy et Clovis) qui passent de très mauvais moments en ce début d’année pour s’être exprimés en faveur des droits des étudiants.


Ces choses que paul Biya ne fait plus

 

Avril 1984, Paul Biya décore les soldats à titre posthume. Crédit image: Ulrich Tadajeu prise dans Cameroon Tribune.
Avril 1984, Paul Biya décore les soldats à titre posthume. Crédit image: Ulrich Tadajeu prise dans Cameroon Tribune.

Académiquement, je suis étudiant en Histoire. Ma formation m’amène à visiter les archives. Vous savez ces lieux où est conservée la mémoire écrite d’un peuple. Alors, de ce côté, j’ai trouvé pas mal de choses intéressantes  sur l’histoire récente du Cameroun. Pas qu’il n’y a rien sur l’histoire ancienne. Sauf que je n’en avais pas besoin. En consultant ces archives, j’ai constaté qu’il y’a beaucoup de choses que Paul Biya faisait et qu’il ne fait plus. Je ne sais pas pourquoi.

Tenez par exemple,  les hommages aux soldats tombés sur le champ de guerre. Au lendemain du coup d’état manqué du 06 Avril 1984, le chef de l’Etat Paul Biya s’est rendu à la cérémonie d’hommages à ces soldats. Pendant ce temps, son épouse de l’époque, Jeanne Irène Biya se rendait à l’hôpital pour réconforter les camerounais qui se sont blessés lors de cette épreuve. Aujourd’hui, chose impossible. L’actualité récente nous le prouve. Le 27 Août, le chef de l’Etat n’a pas assisté à la cérémonie d’hommages rendus aux militaires morts au front dans les combats contre Boko Haram à l’extrême-Nord du Cameroun. Il s’agissait de 26 soldats tombés alors qu’ils défendaient le territoire Camerounais. Mais, à la différence du passé, Popaul comme je l’appelle souvent n’est pas parti.

Avant Paul Biya accordait des entretiens aux journalistes camerounais de la presse camerounaise. Même s’il s’agissait des journalistes de la télévision publique nationale (CRTV), il s’agit d’un entretien. Ce que le président camerounais n’a plus fait depuis bien longtemps. Il s’agit désormais de brèves interviews soit à l’aéroport lorsqu’il va en Europe ou alors à la sortie du bureau de vote. Le reste, ce sont des monologues. Il parle à lui même. Le jeudi, 11 Avril 1991, Paul Biya a accordé un entretien à Eric Chinje alors journaliste à la Cameroon Radio Television (CRTV) . Paul Biya s’est entretenu avec le journaliste pendant plus d’une heure selon le Cameroon tribune du 12 Avril 1991. Au cours de ces plus d’une heure, le journaliste et le chef de l’Etat ont abordé toutes les questions chaudes de l’heure. Il faut rappeler que le contexte était marqué par les manifestations à l’Université, la crise économique. Quelques mois plus tard, c’est un autre journaliste de la CRTV télé qui aura un entretien avec Paul Biya. Il s’agit de Charles Ndongo. En effet, le vendredi 07 Février 1992, le chef de l’Etat a accordé un entretien à Charles Ndongo dans le cadre des préparatifs des élections législatives de Mars 1992. Avec Charles Ndongo également, la discussion était longue. Depuis plus de 10, Paul Biya ne l’a plus jamais fait.

Paul Biya et Eric Chinje, le 11 Avril 1991. Crédit image: capture faite sur le Cameroon tribune n°4866 du 12 Avril 1991, P 11.
Paul Biya et Eric Chinje, le 11 Avril 1991. Crédit image: capture faite sur le Cameroon tribune n°4866 du 12 Avril 1991, P 11.

Toutes ces choses, notre papi national bien aimé le faisait. Il le faisait en 1984, en 1991. Ceci concerne ce que nous connaissons. C’est sûr qu’il y’a eu davantage. il ne le fait plus. Ne peut-il plus ? Ne veut-il pas (plus) ? La vie des Camerounais n’a-t-elle pas (plus) de signification pour lui et son régime ? Pourquoi ses habitudes ont-ils tant changé ?  Je n’en sais rien.


Remember Mongo Beti: la liberté d’expression au coeur du débat.

Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/
Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/

Les journées RememberMongoBeti se sont achevées le 07 Octobre dernier par une conférence sur la liberté d’expression à la Librairie des peuples noirs créée par Mongo Beti. Organisée par la Société des Amis de Mongo Beti (SAMBE), cette conférence posait sur la table un problème très cher à Mongo Beti qui en a été victime à savoir la liberté d’expression. Qu’est-ce que c’est ? Quel est son état au Cameroun ? Peut-elle perdurer avec l’émergence des nouveaux médias ?

Le panel diversifié composé de journalistes, d’hommes politiques et d’enseignants d’université a eu la tâche de donner son avis sur cette question. Ce débat est certes en relation avec la mort de Mongo Beti mais il faut rappeller qu’il se tient dans un contexte marqué dans notre pays par des atteintes à des libertés publiques. C’est le cas des étudiants de l’ADDEC (Association pour la Défense des Droits des Etudiants Camerounais) qui viennent d’être exclus des universités d’Etat du Cameroun pour avoir exprimé leur liberté. Mongo Beti qui a été censuré dans les ouvrages, les conférences, les articles de presse savait que la liberté d’expression est la matière première de l’intellectuel. Car, selon le Dr Adama Samaké (auteur d’un ouvrage sur Mongo Beti, l’intellectuel est producteur de sens et c’est par cette production de sens qu’il arrive à distinguer le bien du mal. Par son franc parler, l’auteur du « pauvre christ de Bomba » a appris aux jeunes de l’époque à parler et à s’exprimer. La liberté est ainsi une quête intérieure, c’est une quête personnelle d’un homme. Jean François Chanon a partagé avec nous cette interpellation du Réverend père Engelbert Mveng envers les jeunes de l’époque : « Soyez des hommes libres et ne vous laissez jamais attacher par un lien. » Mais cette liberté est réduite par les conditions qui sont créees et qui favorisent l’auto-censure. C’est chaque individu qui se censure et estime qu’il n’a pas le droit de parler de tel ou tel autre sujet. Cette auto-censure est complétée par une politique du ventre sévère qui veut que chacun se concentre sur ce qu’il mange et se tait lorsqu’il est rassasié. Personne ne s’occupe des problèmes des autres.  Ainsi, lorsqu’il y’a une dérive aux libertés publiques, ce n’est le problème de personne. Or pour faire cesser cet état des choses, il faut qu’une mobilisation sociale de réaction constitue un front pour s’opposer à ces dérives.

Les panélistes pendant la conférence. Crédit photo: ulrich Tadajeu
Les panélistes pendant la conférence. Crédit photo: ulrich Tadajeu

Les libertés d’expression sont la condition sine qua non pour que règne la démocratie et l’état de droit. Or jusqu’ici, ces termes sont des concepts sans consistance pratique. La démocratie est tout le temps biaisée et l’état de droit violée. Mais, selon les participants, internet est en train de changer la donne. La portée, l’étendue et la dématérialisation du web font qu’il soit insoluble et incontrôlable. Ainsi, on ne pourra plus arrêter la liberté d’expression dans notre pays parce qu’au-delà des médias traditionnels, il y’a internet qu’on  ne peut plus arrêter.

Thierry Batoum, président de l'ADDEC, s'est aussi exprimé sur sa situation ainsi que celle de son camarade avec qui ils ont été exclus des Universités camerounaises.
Thierry Batoum, président de l’ADDEC, s’est aussi exprimé sur sa situation ainsi que celle de son camarade avec qui ils ont été exclus des Universités camerounaises.

Internet peut-il être une panacée à la liberté d’expression dans la mesure où de plus en plus, en convoquant la théorie de la spirale du silence, des rapports estiment que les réseaux sociaux ne favorisent pas la liberté d’expression comme on le pense ? Internet peut-il favoriser la liberté d’expression alors que le niveau d’accès n’est pas le même partout?


A Akometam, nous avons rendu hommage à Mongo Beti et Abel Eyinga

Photo de famille à Akometam. Crédit image: Ulrich Tadajeu.
Photo de famille à Akometam. Crédit image: Ulrich Tadajeu.

Après une longue et riche carrière d’enseignant et d’écrivain en France, Mongo Beti de son vrai nom Alexandre Biyidi Awala retourne au Cameroun en 1991. 10 ans après son retour au bercail, il décède à l’hôpital général de Douala. C’était le 07 Octobre 2001. La Société des Amis de Mongo Beti (SAMBE) créée dans la foulée par sa femme Odile Tobner met sur pieds des commémorations annuelles à la période de sa mort au cours desquelles des amis, connaissances et simples héritiers scientifiques ou intellectuels de Mongo Beti se rendent à Akometam, son village, située à quelques kilomètres de Mbalmayo (Département du Nyong et So’o, région du Centre Cameroun) pour célébrer l’homme en lui rendant un vibrant hommage. Depuis 12 ans que cette commémoration existe, Abel Eyinga (ami et compagnon de Mongo Beti depuis la France) n’a manqué le déplacement qu’une fois à cause de la maladie qui le rongeait et une seconde fois (celle-ci) parce qu’il est décédé le 16 Janvier 2014. C’était donc une co-commémoration à laquelle j’ai assisté ce dimanche 05 Octobre à Akometam. La mort de Mongo Beti d’un côté et celle de Abel Eyinga de l’autre.

A ce sujet, des discours ont été prononcés pour rendre hommage à Mongo Beti dans un  premier temps et à Abel Eyinga par la suite. On retiendra que Mongo Beti était d’une vivacité intellectuelle et énergique à nul autre pareil. Ce qui lui vaut un immense respecte de la part de ses amis et fait de lui un homme immortel. C’est la raison pour laquelle  il faut que « les livres de Mongo Beti soient disponibles sinon sa deuxième mort pourrait venir de là».

En ce qui concerne Abel Eyinga, plusieurs personnes ont témoigné en essayant assez souvent de faire un parallèle entre les deux hommes. Parmi les illustres témoins, il y’a les professeurs Eboussi Boulaga et Ambroise Nkom qui ont cotoyé Abel Eyinga. Pour Eboussi Boulaga, Abel Eyinga était un homme constant et cohérent dans son discours. Il avait une grande maitrise de soi. Ce qui a permis qu’il évite de « faire des autres les responsables de son malheur. » Une attitude qu’a salué l’éminent philosophe africain dans la mesure où cela permettait à Abel Eyinga de ne pas vivre avec l’aigreur et la haine des autres. Pour le professeur Ambroise Kom, Abel Eyinga et Mongo Beti inspirent des questionnements dont le plus important est de savoir : « Quel est le rôle de l’individu instruit dans une société postcoloniale ? » En réinterrogeant l’héritage que ces maitres nous ont laissé, en nous demandant comment faire pour transformer notre milieu, notre pays en gardant nos principes, nous aurons de l’avis de Ambroise Kom, une réponse à cette question. Quoiqu’il en soit, les vies de Mongo Beti et Abel Eyinga nous apprennent que la résistance a un prix qu’il faut être prêt à payer. Pour le faire, il faut batailler pour les idées qu’on a et être fidèles à celles-ci. D’autres intervenants ont pris la parole pour saluer le courage de Abel Eyinga qui, il faut le rappeler, a été l’unique individu qui a présenté sa candidature à la présidence de la République sous le régime dictatorial de parti unique de Ahmadou Ahidjo.  C’était en 1970. Ce qui lui a valu une condamnation par contumace étant donné qu’il vivait à Paris. C’est cet épisode qui a inspiré la rédaction de son livre « Mandat d’Arrêt pour cause d’élection… ».

Au cours de cette visite, nous avons également découvert Mongo Beti l’agriculteur. En effet, l’écrivain avait un vaste champ où il cultivait énormément. A côté de sa plantation, il avait une porcherie dans laquelle il élevait les porcs. Au moment de sa mort, nous a confié son neveu, il avait 226 têtes de porcs.

La SAMBE a tout de même déploré le fait que la seconde mort d’Abel Eyinga soit proche dans la mesure où depuis qu’il a rendu l’âme, rien n’est fait pour le célébrer. Pire, les documents d’archives qu’il a laissés avant son décès sont inaccessibles.  Toute chose qui contribuerait à effacer complètement l’intellectuel et homme politique de la scène publique.

La commémoration se poursuit Lundi 06 Octobre et Mardi 07 octobre. Demain Lundi, se tiendra la projection cinématographique d’un documentaire « Contre-censure » sur l’interdiction de « Main basse sur le Cameroun » à partir de 15h30 minutes. Mardi, 07 octobre 2014, une conférence publique se tiendra à la Librairie des peuples noirs à Tsinga à partir de 15h sur le thème « la liberté d’expression ». Elle sera animée en présentiel par Haman Mana, Jean François Chanon, Florian Ngimbis et Hilaire Kamga. Odile Tobner (France), Edith Kah Walla (Zimbabwe) et Samake (Abidjan) interviendront également en visio-conférence.


L’enfer vient toujours de l’autre (1): le cas de l’étudiant

Des étudiants devant le barbillard à l'Université de Dschang (Cameroun). Crédit image: Ulrich Tadajeu.
Des étudiants devant le barbillard à l’Université de Dschang (Cameroun). Crédit image: Ulrich Tadajeu.

Ce billet est le début d’une série sur le rapport que l’individu dans nos sociétés avec l’autre dans  l’interprétation et la gestion de ses problèmes. Je veux par-là démontrer que l’une des raisons qui pourraient expliquer le retard d’un pays comme le Cameroun se trouve au niveau de cette relation très mal interprétée et gérée jusqu’ici. Qui est l’autre ? Est-il responsable de nos problèmes ? Quelle importance lui accorde-t-on dans l’explication des raisons de ces problèmes-là ? Je partirai d’un cas plus proche, l’explication que les étudiants donnent à leurs notes (bonnes ou mauvaises) pour aboutir à la société globale.

20 Aout 2013, je suis sur le campus principal de l’Université de Dschang. Un enseignant vient afficher les résultats des examens académiques de fin de second semestre. Les étudiants y sont présents. Certains jubilent après avoir pris connaissance de leurs résultats. Dans leur joie, ils lâchent des mots « j’ai eu 14, J’ai eu 16 », d’autres par contre pleurent, car ils n’ont pas « validé » les matières comme on dit dans le jargon. Dans leur tristesse, ils disent « l’enseignant là m’a donné 07… Piffffff !!! Il m’a encore donné 05. »

Quelques mois plus tard, je vais en court séjour privé dans une autre ville universitaire du Cameroun. Comme d’habitude, je vais à la rencontre de mes amis sur le campus. Une discussion est engagée par le camarade de mon pote. Je constate qu’un autre avec qui nous sommes, puisqu’en plus de moi et mon ami, il y’a deux autres étudiants, demande aux uns et aux autres « comment étaient les examens ? » Un dit : « j’ai eu 13,5 ». Mon ami, tout triste avec un ton calme, lâche «shiiittt !!! L’enseignant m’a donné 08. » Quand le barbillard affiche un bon résultat devant le nom, c’est « j’ai eu ». Par contre, lorsque c’est une mauvaise moyenne, c’est « l’enseignant m’a donné ». L’étudiant décline ainsi sa responsabilité dans ce « malheur » qui lui arrive pour l’attribuer à l’enseignant qui a corrigé sa copie. Parfois, il accompagne ces propos de paroles diffamatoires à l’égard de l’enseignant pour justifier « l’attribution de cette mauvaise moyenne ».

Triste réalité cette situation. Elle traduit bien un état des choses. Tout ce qui est mauvais vient de l’autre, de l’ennemi extérieur qui, ici, est l’enseignant. Autrui n’est qu’un enfer. Cette situation est plus que récurrente. Voir l’origine du mal chez l’autre sans question sa responsabilité propre en tant que déclencheur d’une action. Cette situation procède du fait que les autres composantes de la société sont embarquées dans une logique de deresponsabilisation générale. Chacun décline sa responsabilité lorsqu’il s’agit d’un échec et assume lorsque c’est une réussite. Lorsqu’il s’agit de l’échec, il l’explique toujours par un facteur exogène.

Elle a au moins une conséquence : empêcher à l’étudiant de faire une auto critique sur lui pour avancer. Généralement, au lieu de se poser la question de savoir : qu’est-ce que j’ai fait pour obtenir cette mauvaise note, ils sont nombreux qui se demandent : qu’est-ce que j’ai fait pour que l’enseignant me donne cette note ? Une question qui ne lui permet pas de revoir ses manières d’étudier ou sa posture par rapport à son école mais de jeter l’anathème de son échec sur l’autre.

 Le rapport à l’extérieur est  mal interprété et donc mal négocié. L’interprétation de  l’échec par l’individu  ne va pas de lui pour aboutir à l’extérieur mais va de l’extérieur pour aboutir à lui. Il cesse d’être son centre propre pour devenir la propriété décentrée d’une extériorité imaginée et potentiellement destructrice. Or, de notre posture sur cette question, dépend ce que nous pouvons faire. Il est presqu’évident que la répétition de certains échecs scolaires et académiques est due à cette conception biaisée du rapport à l’extérieur. En tant que capitaine du bateau, le sujet humain (ici c’est l’étudiant) doit assumer les responsabilités de son échec. Ensuite, il fera une critique personnelle pour expliquer ce qui lui est arrivé avant de prendre des résolutions pour ne plus répéter cela. Un travail noyé dans des questionnements sur l’ennemi extérieur qui, parfois, n’existent que dans les fantasmes du sujet en colère.

Tant que les étudiants expliqueront leurs échecs par des raisons externes, tant qu’ils verront dans l’autre la cause première et ultime de leur échec sans jamais se remettre en question eux-mêmes, sans chercher les facteurs endogènes, les lignes ne bougeront même pas d’un centime. Il est temps d’assumer nos échecs comme nous le faisons pour nos réussites.

 

 


Développer un rapport à l’humain pour s’imposer sur la blogosphère

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Ce billet est un souhait de bienvenue aux nouveaux mondoblogueurs et plus largement à ceux qui se lancent dans le blogging ou le web activisme. Je me sers d’une discussion que nous avons eue dans le cadre de la formation Social Media For Change Cameroon (sm4c) avec trois influenceurs Camerounais sur les réseaux sociaux pour passer le message.

J’ai assisté vendredi 19 Septembre à la journée de formation offerte par le Social Media 4 Change Cameroon (un concept qui se propose d’impulser le changement au Cameroun à travers les médias sociaux). C’était impressionnant. Avant que de parler de la formation en elle-même dans un  billet à venir, je reviens dans ce billet sur mes impressions. Bien que là encore, il s’agit non pas des impressions globales mais celles relatives au troisième axe de la formation intitulé : we share.

De gauche à droite: Murielle Wonja, Florian Ngimbis et Chouchou Mpacko. ¨Photo: Ulrich Tadajeu.
De gauche à droite: Murielle Wonja, Florian Ngimbis et Chouchou Mpacko. ¨Photo: Ulrich Tadajeu.

Au cours de cet axe, trois influenceurs Camerounais sur les réseaux sociaux ont partagé avec nous leurs expériences respectives. Florian Ngimbis, le kongosseur, Chouchou Mpacko, la reine de la #Team237 sur twitter et Murielle Wonja, la fille qui aime dire ce qu’elle pense. C’est vrai qu’eux-mêmes ont dit qu’ils ne sont pas des « messagers » ou des « modèles » si on le veut mais en posant les actions comme ils le font à travers le web, la société fait d’eux des leaders d’opinions. Trois choses m’ont impressionné dans ce qu’ils ont dit : premièrement, développer un rapport à l’humain. Il s’agit précisément de faire en sorte que tout le monde se reconnaisse dans ce que vous écrivez. Du côté de Chouchou Mpacko, ce rapport à l’humain s’exprime par la prise au sérieux de ce qu’elle fait ainsi que la vérification des informations qu’elle met en ligne. Ces tweets doivent refléter la réalité. Aussi répond-elle à toutes les mentions qui lui sont faites. Le blogueur, peu importe son style, sa qualité ou sa spécialité doit pouvoir de l’avis de ces influenceurs développer ce rapport à l’humain.

Deuxièmement, avoir une identité propre. Il s’agit pour le blogueur ou le tweeteur de pouvoir se trouver un style d’écriture, rechercher des arguments et des astuces pour améliorer ce style. Egalement, le blogueur doit pouvoir dire les choses telles qu’il les pense pourvu qu’il ait les arguments qui lui permettent de défendre ses idées. D’ailleurs, Murielle nous a fait savoir qu’elle « écrit comme elle pense car c’est ça qui intéresse les gens. »

Enfin, le rapport à l’argent. Nombreux sont ceux qui se lancent dans cette activité en attendant dans les deux mois qui suivent des retombées financières. Mais les échanges avec ces trois jeunes Camerounais nous ont permis de comprendre que ce n’est pas la priorité. Ils ne bloguent pas prioritairement pour l’argent ou de quelconques prébendes. Mais pour partager leur vision des choses en développant des arguments pertinents même si on peut ne pas les partager. Ils n’ont pas dit qu’on ne peut pas gagner de l’argent avec le blogging. Ils ont été clairs sur le fait qu’en ce qui les concerne, gagner l’argent n’est pas la priorité.

Il ne s’agit aucunement de formules toutes faites comme on le voit un peu partout à plaquer directement mais plutôt d’astuces acquises et développées au fils du temps. Elles sont, de l’avis de nos influenceurs, la fondation même de l’activité de blogueur ou de web activist. C’est vrai après il y’a le contenu, les techniques d’écriture, le référencement, la visibilité mais tout ceci ne servirait à rien si les valeurs présentées plus haut ne sont pas partagées et mises en pratique.

Alors, mes chers nouveaux mondoblogueurs, soyez les bienvenues! Développez un rapport à l’humain, ayez une identité et ne faites pas de l’argent votre priorité dans cette activité.

Pour avoir les différentes présentations faites lors de cet atelier, cliquez ici


Où est passé Um Nyobe ?

Ruben Um Nyobe. Crédit image: peuplesawa.com
Ruben Um Nyobe. Crédit image: peuplesawa.com

Ils sont assez nombreux à savoir que le réel père de la nation Camerounaise, Ruben Um Nyobe, a été assassiné le 13 Septembre 1958 dans la forêt en pays Bassa. En cette commémoration, je me demande dans ce billet: où est passé Um Nyobé, ce parent qui a combattu avec ses camarades pour que le Cameroun soit libre? Peut-être qu’il faut le ressusciter pour résoudre le problème du patriotismes?

Aujourd’hui, une importante littérature est présente au sujet de la vie de ce monsieur ainsi que sa pensée. Même lorsqu’il s’agit de parler de son effacement total par les forces postcoloniales, rien à ajouter sur le boulot extraordinaire de Achille Mbembe. Mais je dois rappeler que depuis le début de cette année, occasion a été donné une fois de plus à Paul Biya et ses créatures de célébrer merveilleusement nos nationalistes pour leurs actions et à une période où le Cameroun a énormément besoin de modèles républicains. Il est triste de constater qu’ils l’ont une fois de plus renvoyé aux oubliettes. Son nom n’est sorti de nulle part. Juste des évocations globales. Juste des « dignes fils » et «dignes filles» pour parler d’eux. . Le mérite-t-il après le sacrifice qu’il a consenti ? Après tous ces voyages aux tribunes des nations unies, ses travaux et écrits, son leadership pour conscientiser le peuple.

En 2014, on a continué d’oublier et d’effacer le « Mpodol» (celui qui porte la parole des siens). Lors de la célébration du cinquantenaire de la Réunification trois années après la date effective, on attendait de Paul Biya qu’enfin il prononce le nom de ces nationalistes pour faire savoir de façon officielle aux Camerounais qu’ils sont des modèles de patriotisme pour notre république. Rien ! Même pas un mot, encore moins une pensée venant de lui. N’en parlons pas d’un monument symbolique érigé en sa mémoire. Rien de tout ça. Au contraire, au début du mois d’Août dernier, le président de la République en route pour Washington a répondu aux questions d’un journaliste au sujet des attaques de Boko-Haram à l’Aéroport de Yaoundé-Nsimalen. Il y a assimilé Boko-Haram qui est un groupe terroriste au maquis. Allait-il dans la même lancée que son prédécesseur pour qui Um Nyobe était un terroriste? Sinon, pourquoi a-t-il fait un tel rapprochement? Au lieu de donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, le régime camerounais a inversé les rôles.

Comme dans le régime de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, certains individus ont attribué à Paul Biya des résultats dans lesquels on ne le reconnait pas. « Paul Biya, père de la vraie réunification du Cameroun ». De quelle réunification parle-t-on? Qui a défendu cela dans les années 1950? Les tractations avec les leaders politiques du Cameroun occidental de l’époque, qui les a effectuées? N’est-ce pas Um Nyobe et son équipe? Mais, grande est notre surprise auaujourd’hui qu’on en parle jamais dans les discours et les actions publiques. Aucune rue, aucun amphi, aucun discours. Bref, il est inexistant. Ce sont les Camerounais qui posent des actions au quotidien pour célébrer ces héros. A l’effacement colonial, il y’a cet assassinat postcolonial.

Mais où est passé celui-là qui est mort pour nous ? Les difficultés qu’on à construire une nation, les mésententes entre différents groupes ethniques, les problèmes anglophone par ci, Bamiléké par là… ne sont-ils pas des preuves de ce que l’oubli de ce parent mort pour nous sauver a été une erreur fatale ? Pourquoi Paul Biya veut prendre une place qui ne lui revient pas ? Où est donc passé Um Nyobe dans un pays qui cherche loin des héros qui sont pourtant là ? Ce monsieur qui était non seulement un être de pensée mais aussi d’action ne peut-il pas inspirer plus d’un Camerounais?

Le patriotisme se construit sur des valeurs. Ses valeurs sont abstraites mais ont très souvent été mises en pratiques par des individus qui nous ont précédés, par des morts. Or comme le disait Achille Mbembe « un pays qui s’en fout de ses morts ne peut pas constituer une nation. » L’intérêt de ressusciter les images de ces morts réside dans le fait qu’à travers eux, il existera des modèles de bravoure, des modèles sur lesquels on peut s’appuyer pour parler du patriotisme. Il est donc important, si le Cameroun veut continuer à parler de patriotisme et de nation avec crédibilité, de ressusciter ces figures, de les prendre au sérieux dans la politique de nation tant proclamée. Il faudra répondre à la question de savoir : où est passé Um Nyobe ?

NB: je vous recommande en supplément cette interview d’Achille Mbembe ainsi que l’article « Pouvoir des morts et langage des vivants: les errances de la mémoire nationaliste au Cameroun. »