L’enfer vient toujours de l’autre (1): le cas de l’étudiant

Ce billet est le début d’une série sur le rapport que l’individu dans nos sociétés avec l’autre dans l’interprétation et la gestion de ses problèmes. Je veux par-là démontrer que l’une des raisons qui pourraient expliquer le retard d’un pays comme le Cameroun se trouve au niveau de cette relation très mal interprétée et gérée jusqu’ici. Qui est l’autre ? Est-il responsable de nos problèmes ? Quelle importance lui accorde-t-on dans l’explication des raisons de ces problèmes-là ? Je partirai d’un cas plus proche, l’explication que les étudiants donnent à leurs notes (bonnes ou mauvaises) pour aboutir à la société globale.
20 Aout 2013, je suis sur le campus principal de l’Université de Dschang. Un enseignant vient afficher les résultats des examens académiques de fin de second semestre. Les étudiants y sont présents. Certains jubilent après avoir pris connaissance de leurs résultats. Dans leur joie, ils lâchent des mots « j’ai eu 14, J’ai eu 16 », d’autres par contre pleurent, car ils n’ont pas « validé » les matières comme on dit dans le jargon. Dans leur tristesse, ils disent « l’enseignant là m’a donné 07… Piffffff !!! Il m’a encore donné 05. »
Quelques mois plus tard, je vais en court séjour privé dans une autre ville universitaire du Cameroun. Comme d’habitude, je vais à la rencontre de mes amis sur le campus. Une discussion est engagée par le camarade de mon pote. Je constate qu’un autre avec qui nous sommes, puisqu’en plus de moi et mon ami, il y’a deux autres étudiants, demande aux uns et aux autres « comment étaient les examens ? » Un dit : « j’ai eu 13,5 ». Mon ami, tout triste avec un ton calme, lâche «shiiittt !!! L’enseignant m’a donné 08. » Quand le barbillard affiche un bon résultat devant le nom, c’est « j’ai eu ». Par contre, lorsque c’est une mauvaise moyenne, c’est « l’enseignant m’a donné ». L’étudiant décline ainsi sa responsabilité dans ce « malheur » qui lui arrive pour l’attribuer à l’enseignant qui a corrigé sa copie. Parfois, il accompagne ces propos de paroles diffamatoires à l’égard de l’enseignant pour justifier « l’attribution de cette mauvaise moyenne ».
Triste réalité cette situation. Elle traduit bien un état des choses. Tout ce qui est mauvais vient de l’autre, de l’ennemi extérieur qui, ici, est l’enseignant. Autrui n’est qu’un enfer. Cette situation est plus que récurrente. Voir l’origine du mal chez l’autre sans question sa responsabilité propre en tant que déclencheur d’une action. Cette situation procède du fait que les autres composantes de la société sont embarquées dans une logique de deresponsabilisation générale. Chacun décline sa responsabilité lorsqu’il s’agit d’un échec et assume lorsque c’est une réussite. Lorsqu’il s’agit de l’échec, il l’explique toujours par un facteur exogène.
Elle a au moins une conséquence : empêcher à l’étudiant de faire une auto critique sur lui pour avancer. Généralement, au lieu de se poser la question de savoir : qu’est-ce que j’ai fait pour obtenir cette mauvaise note, ils sont nombreux qui se demandent : qu’est-ce que j’ai fait pour que l’enseignant me donne cette note ? Une question qui ne lui permet pas de revoir ses manières d’étudier ou sa posture par rapport à son école mais de jeter l’anathème de son échec sur l’autre.
Le rapport à l’extérieur est mal interprété et donc mal négocié. L’interprétation de l’échec par l’individu ne va pas de lui pour aboutir à l’extérieur mais va de l’extérieur pour aboutir à lui. Il cesse d’être son centre propre pour devenir la propriété décentrée d’une extériorité imaginée et potentiellement destructrice. Or, de notre posture sur cette question, dépend ce que nous pouvons faire. Il est presqu’évident que la répétition de certains échecs scolaires et académiques est due à cette conception biaisée du rapport à l’extérieur. En tant que capitaine du bateau, le sujet humain (ici c’est l’étudiant) doit assumer les responsabilités de son échec. Ensuite, il fera une critique personnelle pour expliquer ce qui lui est arrivé avant de prendre des résolutions pour ne plus répéter cela. Un travail noyé dans des questionnements sur l’ennemi extérieur qui, parfois, n’existent que dans les fantasmes du sujet en colère.
Tant que les étudiants expliqueront leurs échecs par des raisons externes, tant qu’ils verront dans l’autre la cause première et ultime de leur échec sans jamais se remettre en question eux-mêmes, sans chercher les facteurs endogènes, les lignes ne bougeront même pas d’un centime. Il est temps d’assumer nos échecs comme nous le faisons pour nos réussites.
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