Cameroun: Où est la liberté d’expression?

11 octobre 2014

Cameroun: Où est la liberté d’expression?

Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/
Crédit photo: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/

La différence entre le régime Biya et le régime Ahidjo (l’ancien président camerounais) est que sous le régime Ahidjo, il était officiellement connu qu’il n’y a pas d’idées différentes. Il y’a « un seul parti, un seul chef, une seule nation », il n’y a pas de multipartisme. Lorsque tu penses différemment, soit tu te tais, soit tu vas dans une de ces prisons de répressions (Tcholirré, Yoko…) C’était une censure hard et officielle. Depuis le retour au « multipartisme » avec Paul Biya, on assiste à une existence officielle de l’expression de la différence. Mais dans les faits, c’est tout autre chose. La pensée unique est restée dans les mémoires, dans les esprits et dans les actions.

Au début des années 1990, Paul Biya en personne dans un de ses discours appelait déjà les Camerounais à choisir entre le « Renouveau et le chaos. » Récemment, lors des échéances électorales ou des événements importants, on a observé un régime qui peine à admettre les idées différentes. Pour eux, l’opposant est un « ennemi », un « marchand d’illusions » ou un « apprenti sorcier ». Bref, celui qui exprime son idée, parce qu’elle est différente, est marginalisée et parfois brutalisée. Et du coup, lorsque quelqu’un veut émettre des idées différentes, soit il s’auto-censure lui-même, soit c’est son entourage qui lui fait toute sorte de sermon. Mais où est donc la liberté d’expression tant chantée? On peut s’exprimer de diverses manières. Ce peut être en parlant, en manifestant…

Au sujet des manifestations par exemple, au Cameroun il y’a des manifestations qu’on autorise et celles qu’on n’autorise pas. Si vous voulez mobiliser des jeunes élèves et étudiants pour faire des louanges au président de la République toute la journée nonobstant le fait qu’ils soient en train de faire cours, vous êtes très vite encouragés. Une autorisation est délivrée. Si vous voulez marcher sur un campus universitaire (qu’on dit apolitique) avec des vêtements du parti au pouvoir sur vous et des banderoles de louange à Paul Biya, on ne dit pas que l’Université est apolitique. Sur le champ, on vous encourage parfois. Si vous voulez faire une marche de remerciement, rédiger une motion de soutien au président de la république, sur le champ, vous avez l’autorisation. Mais lorsque vous voulez exprimer votre mécontentement face à un problème crucial dans le respect strict des lois républicaines, l’autorisation vous est refusé. Lorsque vous voulez revendiquer vos droits comme c’est le cas avec les étudiants de l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants Camerounais (ADDEC), vous êtes tout de suite réduits au silence par tous les moyens. Ce sont vos proches qui vous demandent de vous méfier ou alors de faire attention. Et quand il s’agit par exemple de s’exprimer sur des questions relatives au manque d’eau, d’électricité, la qualité des soins dans les hôpitaux, certains se taisent au lieu d’exprimer ce qu’ils pensent de peur d’être brutalisés par le régime au pouvoir au Cameroun.

Les étudiants de l’ADDEC qui ont fait de la défense des droits des étudiants leur cheval de bataille depuis 10 ans maintenant font régulièrement face à cette situation. Récemment, deux d’entre eux Thierry Batoum (Ecole Normale Supérieure de Yaoundé) et Barthélemy Tchaleu (Ecole Nationale Supérieure Polytechnique) ont été exclus pour deux ans de leurs écoles respectives. Officiellement, il est reproché à Thierry Batoum d’avoir « [fraudé] à l’examen de fin de premier semestre de l’année académique 2013/2014, [incité] à la désobéissance, actes contraires à l’éthique universitaire. » Comment un étudiant peut-il avoir fraudé à un examen quelques temps après qu’il ait été déclaré admis au niveau supérieur? Thierry Batoum a présenté lors d’une conférence à la Librairie des Peuples Noirs à Yaoundé tous les documents qui montrent qu’il est admis au niveau supérieur. Il s’agit, selon lui, d’un assourdissement du mouvement estudiantin qui a manifesté sa désapprobation après l’augmentation de la pension à l’Université de Yaoundé 1 pour l’obtention de la carte d’étudiant et pour l’assurance. Le 10 Octobre dernier, après la publication de la déclaration de l’ADDEC face à cette situation, Barthélemy Tchaleu et Nana Clovis ont été arrêtés par la police et conduits au commissariat du 5ème arrondissement à Ngoa-Ekelle où ils ont passé la nuit. Selon certaines sources, on leur reproche de « distribuer des tracts et de s’entretenir avec les étudiants au sujet de l’exclusion des leaders de l’ADDEC. »

Il s’agit là des jeunes qui ont décidé de dire ce qu’ils pensent sans complaisance ni haine, sans brutalité, sans que ce ne soit de la manipulation. Mais juste parce que c’est injuste que dans un pays où les étudiants n’ont pas de bourses, on continue d’augmenter la pension sous prétexte qu’il faut la carte d’étudiant, la carte de restaurant. Lorsqu’ils le font, ils sont toute suite réduits au silence. Quelqu’un demandait lors d’une conférence récemment: « Et si Njoya revenait? » Je réponds: il ne serait pas fier de cette société dans laquelle la liberté d’expression a foutu le camp, une société dans laquelle on n’envisage pas le différent comme un alter ego mais plus comme un ennemi. Et vous parlez de liberté d’expression. Un autre mensonge!

NB: ce billet est dédié aux étudiants de l’ADDEC (Thierry, Barthélémy et Clovis) qui passent de très mauvais moments en ce début d’année pour s’être exprimés en faveur des droits des étudiants.

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