Elikia M’Bokolo: « Tous les processus de renaissance reposent sur une très bonne connaissance et une appropriation de l’histoire »

4 décembre 2013

Elikia M’Bokolo: « Tous les processus de renaissance reposent sur une très bonne connaissance et une appropriation de l’histoire »

 Dans cet entretien, le Professeur Elikia M’Bokolo revient sur l’actualité du colloque, l’Histoire immédiate et la contribution de l’Histoire au développement de l’Afrique. Il finit en donnant quelques conseils méthodologiques aux jeunes chercheurs en Histoire.

 

Elikia M'Bokolo. Crédit image: Marius M. Fonkou
Elikia M’Bokolo. Crédit image: Marius M. Fonkou

Né dans l’actuelle République Démocratique du Congo (RDC), Elikia M’Bokolo est un Historien, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Il a présidé le comité scientifique du colloque international qui s’est tenu du 27 au 28 Novembre dernier à l’Université de Yaoundé 1 sur « la place de Njoya dans l’historiographie Africaine et l’impact de sa contribution à l’évolution de la civilisation Africaine ».  Il présente également l’émission « mémoire d’un continent » sur Radio France Internationale (RFI). Elikia M’Bokolo est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Histoire de l’Afrique notamment L’Afrique au XXe siècle : le continent convoité et L’Afrique noire. Histoire et civilisation (2 vol) en collaboration avec Sophie Le Calennec.

Tamaa Afrika: Bonjour professeur Elikia M’bokolo. Nous vous rencontrons aujourd’hui en marge du colloque international qui se déroule depuis hier à l’Université de Yaoundé 1 sur la place de Njoya dans l’historiographie Africaine et l’impact de sa contribution à l’évolution de la civilisation Africaine. Il faut rappeler que vous assurez la coordination du comité scientifique de ce colloque internationale. Alors pourquoi parler de Njoya ?

Elikia M’Bokolo: En réalité, Njoya n’a jamais disparu de la scène de la recherche historique et même de l’actualité parce que déjà à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, les premiers témoins extérieurs au Cameroun et à l’Afrique qui le rencontrent (les Allemands, les Anglais) parlent de lui avec étonnement. Il est, à ce moment-là, un sujet d’étonnement. En outre, nous savons qu’il a eu une carrière très spéciale parce que son arrivée au pouvoir dans le pays Bamoun n’a pas été simple. Il arrive en plus au pouvoir au moment où les Européens sont en train de se disputer pour partager le continent africain.  Dans un continent convoité, sa marge de manœuvre va être limitée puisque l’Afrique va être colonisée sans que ce ne soit tout le continent.  Car, on sait que l’Ethiopie a réussi à repousser l’invasion italienne et que le Libéria qui était sous contrôle américain n’a pas été totalement colonisé. Ce que Njoya va faire c’est d’essayer de jouer entre ces colonisateurs. En fait, il réussit plutôt bien et c’est une sorte d’exception par rapport à cela. En tant que personnage qui gère un Etat et en tant qu’individu, Njoya a été d’une fécondité intellectuelle et politique tout à fait rare. Un Homme qui a su développer les compétences dans les domaines divers.

Il y a également l’invention d’une écriture qui pose une question centrale c’est que les sociétés africaines comme on dit souvent ne sont pas seulement des sociétés de l’oralité. L’écriture a été et est toujours présente sauf que les Européens et les Arabes ont cru que l’écriture c’est leur écriture sans penser qu’il y a d’autres écritures que les leurs. Pour toutes ces raisons, il nous a semblé que c’est quelqu’un qui n’est pas tout à fait connu parce que beaucoup de textes qu’il a écrits sont dans son écriture et dans sa langue. Ils ne sont pas ouverts à un public plus large. Beaucoup de Camerounais et même de Bamoun ne le connaissent pas.

Aujourd’hui, on se questionne sur la renaissance  africaine, il nous a semblé que plutôt que de discuter sur le plan théorique, il était intéressant de chercher des figures africaines de la renaissance représentant cette capacité de créer, d’inventer tout en restant eux-mêmes dans des situations difficiles. Njoya est l’exception la plus remarquable en période coloniale sur laquelle il fallait que nous travaillions.

Les échanges avec Elikia M'Bokolo. Crédit image: Marius M. Fonkou.
Les échanges avec Elikia M’Bokolo. Crédit image: Marius M. Fonkou.

Dans l’émission mémoire d’un continent que vous présentez sur les ondes de RFI, vous revenez depuis quelques temps maintenant sur « l’histoire immédiate », « l’histoire du temps présent ». De quel concept s’agit-il ? Qu’est-ce que cela renferme comme contenu ?

Histoire immédiate c’est un concept, une notion qui a été lancée par un journaliste, Jean Lacouture, dans une collection de livres qu’il a créés aux éditions du Seuil à Paris. C’étaient des livres de réflexion, d’analyse critique sur les problèmes du temps présent. Entre autres la guerre d’Indochine, les indépendances africaines, les figures de Bourguiba, de Kwame Nkrumah et de Senghor. A partir de lui, on a vu que le travail sur l’histoire immédiate au fond n’était pas très éloigné du travail que les Historiens font.

Les Historiens, surtout en France, vont s’emparer en lançant l’idée de l’histoire du temps présent. L’Histoire du temps présent ce n’est pas seulement l’histoire qui est en train de se passer aujourd’hui. C’est une histoire par rapport à laquelle nous, les historiens, sommes impliqués ou l’histoire par rapport à laquelle les gens qui vivent dans notre temps sont impliquées. Par exemple, si nous commençons à partir des années 1970-1980, toutes les personnes qui ont vécu la 2ème guerre mondiale, les résistants, les collaborateurs, les Juifs victimes de la persécution nazie, étaient encore vivantes et pouvaient de ce fait témoigner. On pourrait solliciter leurs témoignages, recouper avec d’autres sources (presse, radio…) qui existent et qui sont accessibles pour qu’à partir de celles-ci, qui ne sont pas forcément les sources de l’histoire, l’Historien puisse écrire l’histoire. En général, l’Historien trouve les sources alors que dans le cas de l’Histoire immédiate, il va produire les sources. A partir de là, on commence à parler d’Histoire du temps présent.

Vue sous cet angle-là, l’histoire immédiate ne date pas d’hier ?

Le concept n’est pas aussi nouveau. Si vous remontez chez le grand père à tous des Historiens, Hérodote, ses enquêtes, c’est de l’histoire immédiate, ce n’est pas l’ethnographie. Il va dans des pays, rencontre des gens, leurs pose des questions sur leurs origines, comment ils sont arrivés, quels sont leurs rois. Et ceci dans la tradition européenne gréco-romaine. Mais si vous prenez une tradition plus proche de nous, la tradition islamique, quelqu’un comme Ibn Khaldum s’est interrogé sur les Arabes, leurs origines, leur histoire et surtout l’Islam.

En fait, quand on parle aujourd’hui d’histoire du temps présent, on réchauffe un plat qui a déjà été cuit. On y ajoute des ingrédients nouveaux mais cela fait partie de notre discipline. Parce que l’histoire est née d’abord dans l’analyse du temps présent. Lorsque Thucydide écrit sur l’histoire de la guerre du Péloponnèse, il écrit sur son temps et pas seulement sur le passé. Pour toutes ces gens-là, l’histoire passée et l’histoire d’aujourd’hui ne sont pas des choses séparées. Parce qu’aujourd’hui peut être considéré comme la conséquence du passé et le passé comme le père ou la mère du présent.

Actuellement, un colloque. Dans les semaines à venir, un congrès et puis des séminaires. Nous sommes tentés de vous demander : que peuvent l’histoire immédiate et l’histoire plus globalement dans la marche pour le développement de l’Afrique ?

L’histoire est une donnée fondamentale parce que les Etats africains sont des Etats jeunes qui veulent devenir des nations. Or on sait qu’il n’y a pas de nation s’il n’y a pas un minimum d’identité commune. Cette identité ne repose pas sur la race encore moins sur les ethnies parce qu’on sait que les ethnies sont des productions historiques qui changent avec le temps. Ça ne repose que sur la connaissance de ce que nous avons fait en commun (Histoire), de ce que nous faisons maintenant (histoire immédiate) et de ce que nous pouvons faire dans le future c’est-à-dire éviter les erreurs du passé. Ça exige la connaissance de l’histoire pour inventer des choses nouvelles sans répéter simplement le passé même s’il a été glorieux. Joseph Ki-Zerbo disait que l’Histoire c’est le levier fondamental. C’est le levier fondamental à la fois de notre présent et de notre futur. Quand on parle de renaissance africaine, on suppose que l’Afrique a été grande dans le passé et qu’elle peut renaitre aujourd’hui. Tous les processus de renaissance (Europe, Japon, Chine, Brésil) reposent sur une très bonne connaissance et une appropriation de l’histoire. En ce sens, l’histoire n’est pas seulement les choses du passé qu’on connait. C’est également un savoir qu’on s’approprie, on le prend comme un bien qu’on peut utiliser, comme un outil qu’on peut mettre au service du développement.

Enfin, on constate que les jeunes chercheurs en histoire ont de plus en plus tendance à forcer l’histoire et à ne plus écouter les sources. Qu’est-ce que vous leurs conseillez ?

L’histoire est une science comme la physique, comme la chimie. Comme toutes sciences, elle a des règles. L’une des premières  règles étant qu’on ne peut pas dire n’importe quoi sur le passé. On est libre de dire n’importe quoi mais si on veut parler comme un Historien, il faut toujours évoquer les sources. Il n’y a pas d’histoire sans les sources mais les sources ne sont pas l’histoire. C’est ce dont on se sert pour faire l’histoire. L’historien doit ajouter ses propres analyses sur les sources, sa vision. On parle de problématique, la question qu’il se pose pour tirer le meilleur de ces sources.

Beaucoup de jeunes pensent que ce que dit le Président de la République ou le Premier Ministre est la vérité de la situation aujourd’hui. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas qu’ils mentent. Ce qu’ils disent c’est une des sources possibles de l’histoire mais ça n’est pas la seule source. Et l’historien n’est pas l’homme d’une seule source. Il est l’homme de plusieurs sources. Lorsqu’il a une source, il doit chercher les autres sources, il doit essayer de les découpler, de les mélanger, de les critiquer pour sortir le meilleur de ces sources et construire une meilleure histoire.

Un mot de fin sur votre prénom « Elikia » qui signifie en lingala Espérance.

Oui, on peut dire que ça veut dire pour nous « ne pas désespérer du continent ».

Merci professeur pour le privilège que vous nous avez accordé.

Entretien réalisé par Ulrich Tadajeu à Yaoundé (capitale politique du Cameroun).

Pour mener cet entretien, j’ai bénéficié de la collaboration de Marius M. Fonkou .

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Commentaires

Wassouni François
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Intéressant document! Coup de chapeau et je pense qu'il faut faire circuler ce document qui a une forte dose pédagogique.

Ulrich Tadajeu
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Merci pour le passage François.