Où est passé Um Nyobe ?

13 septembre 2014

Où est passé Um Nyobe ?

Ruben Um Nyobe. Crédit image: peuplesawa.com
Ruben Um Nyobe. Crédit image: peuplesawa.com

Ils sont assez nombreux à savoir que le réel père de la nation Camerounaise, Ruben Um Nyobe, a été assassiné le 13 Septembre 1958 dans la forêt en pays Bassa. En cette commémoration, je me demande dans ce billet: où est passé Um Nyobé, ce parent qui a combattu avec ses camarades pour que le Cameroun soit libre? Peut-être qu’il faut le ressusciter pour résoudre le problème du patriotismes?

Aujourd’hui, une importante littérature est présente au sujet de la vie de ce monsieur ainsi que sa pensée. Même lorsqu’il s’agit de parler de son effacement total par les forces postcoloniales, rien à ajouter sur le boulot extraordinaire de Achille Mbembe. Mais je dois rappeler que depuis le début de cette année, occasion a été donné une fois de plus à Paul Biya et ses créatures de célébrer merveilleusement nos nationalistes pour leurs actions et à une période où le Cameroun a énormément besoin de modèles républicains. Il est triste de constater qu’ils l’ont une fois de plus renvoyé aux oubliettes. Son nom n’est sorti de nulle part. Juste des évocations globales. Juste des « dignes fils » et «dignes filles» pour parler d’eux. . Le mérite-t-il après le sacrifice qu’il a consenti ? Après tous ces voyages aux tribunes des nations unies, ses travaux et écrits, son leadership pour conscientiser le peuple.

En 2014, on a continué d’oublier et d’effacer le « Mpodol» (celui qui porte la parole des siens). Lors de la célébration du cinquantenaire de la Réunification trois années après la date effective, on attendait de Paul Biya qu’enfin il prononce le nom de ces nationalistes pour faire savoir de façon officielle aux Camerounais qu’ils sont des modèles de patriotisme pour notre république. Rien ! Même pas un mot, encore moins une pensée venant de lui. N’en parlons pas d’un monument symbolique érigé en sa mémoire. Rien de tout ça. Au contraire, au début du mois d’Août dernier, le président de la République en route pour Washington a répondu aux questions d’un journaliste au sujet des attaques de Boko-Haram à l’Aéroport de Yaoundé-Nsimalen. Il y a assimilé Boko-Haram qui est un groupe terroriste au maquis. Allait-il dans la même lancée que son prédécesseur pour qui Um Nyobe était un terroriste? Sinon, pourquoi a-t-il fait un tel rapprochement? Au lieu de donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, le régime camerounais a inversé les rôles.

Comme dans le régime de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, certains individus ont attribué à Paul Biya des résultats dans lesquels on ne le reconnait pas. « Paul Biya, père de la vraie réunification du Cameroun ». De quelle réunification parle-t-on? Qui a défendu cela dans les années 1950? Les tractations avec les leaders politiques du Cameroun occidental de l’époque, qui les a effectuées? N’est-ce pas Um Nyobe et son équipe? Mais, grande est notre surprise auaujourd’hui qu’on en parle jamais dans les discours et les actions publiques. Aucune rue, aucun amphi, aucun discours. Bref, il est inexistant. Ce sont les Camerounais qui posent des actions au quotidien pour célébrer ces héros. A l’effacement colonial, il y’a cet assassinat postcolonial.

Mais où est passé celui-là qui est mort pour nous ? Les difficultés qu’on à construire une nation, les mésententes entre différents groupes ethniques, les problèmes anglophone par ci, Bamiléké par là… ne sont-ils pas des preuves de ce que l’oubli de ce parent mort pour nous sauver a été une erreur fatale ? Pourquoi Paul Biya veut prendre une place qui ne lui revient pas ? Où est donc passé Um Nyobe dans un pays qui cherche loin des héros qui sont pourtant là ? Ce monsieur qui était non seulement un être de pensée mais aussi d’action ne peut-il pas inspirer plus d’un Camerounais?

Le patriotisme se construit sur des valeurs. Ses valeurs sont abstraites mais ont très souvent été mises en pratiques par des individus qui nous ont précédés, par des morts. Or comme le disait Achille Mbembe « un pays qui s’en fout de ses morts ne peut pas constituer une nation. » L’intérêt de ressusciter les images de ces morts réside dans le fait qu’à travers eux, il existera des modèles de bravoure, des modèles sur lesquels on peut s’appuyer pour parler du patriotisme. Il est donc important, si le Cameroun veut continuer à parler de patriotisme et de nation avec crédibilité, de ressusciter ces figures, de les prendre au sérieux dans la politique de nation tant proclamée. Il faudra répondre à la question de savoir : où est passé Um Nyobe ?

NB: je vous recommande en supplément cette interview d’Achille Mbembe ainsi que l’article « Pouvoir des morts et langage des vivants: les errances de la mémoire nationaliste au Cameroun. »

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