Ulrich Tadajeu

Les circuits de la mémoire, une initiative au service de la connaissance de l’Histoire du Cameroun

Logo officiel "Les Circuits de la mémoire". Crédit: yesafrica-foundation.org
Logo officiel « Les Circuits de la mémoire ». Crédit: yesafrica-foundation.org

Dans ce billet, je présente et salue l’initiative « les Circuits de la mémoire », qui ambitionne de « réconcilier les jeunes Camerounais avec leur Histoire ». 

Yes Africa Foundation a lancé officiellement à Douala ce 11 Septembre 2015 « Les Circuits de la mémoire ». Débutée le 12 Octobre 2014 par  #RememberUmNyobe à Eseka, l’initiative prend désormais une forme officielle et une périodicité bimensuelle.

L’objectif  est de « rappeler l’importance du combat qui a été mené par ces héros de notre nation, et susciter un intérêt collectif ».

Sur le site web de la fondation, voici la description qui est faite:

Sur une base régulière, la Fondation mettra sur pied des charters de jeunes pour visiter des sites forts, chargés de symbolique de l’histoire et de la culture de notre pays. Avec l’aide de guides touristiques, d’une campagne de communication en amont et en aval et d’une recherche documentaire fournie, le public aura droit à un focus et un dépoussiérage du site faisant objet de la visite. Les visites s’étaleront le temps d’un week-end ou de façon plus ponctuelle, sur une journée. Les différentes saisons de ce concept prendront fin avec un vernissage grand public sur un lieu mythique.

Il s’agit donc d’un tourisme patriotique. En faisant connaître ces lieux et ces figures, cette initiative contribue à faire connaître l’Histoire du Cameroun chez les jeunes. Laquelle connaissance leurs permettra de trouver des modèles de patriotisme pour s’en inspirer dans la vie quotidienne. Comme je l’ai souvent rappelé dans mes billets, la construction d’une nation doit prendre en compte ceux et celles qui se sont battus jusqu’à mourir pour que l’idée de nation soit une réalité. Pour le faire, il faut régulièrement retourner au passé, à l’Histoire, à travers les figures et les lieux forts. Ce retour se fait dans l’optique de comprendre le présent et mieux préparer l’avenir. Ce que « les Circuits de la mémoire » envisagent de faire.

La première édition des « circuits de la mémoire » (dans leur version officielle) aura lieu le 26 Septembre prochain à Eséka, sur les traces de Ruben Um Nyobè. Appelé affectueusement « Mpodol » c’est à dire « guide » ou « porte parole », le père de l’indépendance camerounaise a été assassiné le 13 Septembre 1958 en pays Bassa. Ce jour, 13 Septembre 2015, ça fait 57 ans. Personnellement, je pense que se rendre à Eséka le 26 Septembre prochain sera la meilleure manière de saluer sa mémoire. Et de contribuer avec « les circuits de la mémoire » à la connaissance de l’histoire du Cameroun, ainsi qu’à la construction de notre nation.

Voici le lien pour vous inscrire au « Circuit de la Mémoire » du 26 Septembre prochain.

Le hashtag de cette édition est #RememberUmNyobe.

Je vous suggère également d’utiliser le hashtag #KmerHistory à la suite des tweets et publications relatifs aux « circuits de la mémoire ».

Pour aller plus loin:

Voici quelques ouvrages pour aller plus loin. Les deux premiers sont des recueils de textes de Ruben Um Nyobè, présentés et introduits par Achille Mbembe. Le troisième est écrit par Achille Mbembe.

Ruben Um Nyobè, Ecrits sous maquis. Notes et introductions de J.A. Mbembe, Paris, L’Harmattan, 1989, 296 p.

Ruben Um Nyobè, Le problème national Kamerunais. Présenté par J.A. Mbembe, Paris, L’Harmattan, 1984, 443 p.

Achille Mbembe, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960). Histoire des usages de la raison en colonie, Paris, Karthala,‎ 1996, 438 p.


Image de l’Université de Buéa: vérifier pour faire savoir et faire comprendre

image prise sur le site web sinotables.com
image prise sur le site web sinotables.com

Dans ce billet, je me sers du cas de l’image de l’Université de Buéa qui circule depuis deux jours sur les réseaux sociaux pour montrer comment la « rapidité » et la « facilité » nous empêche de « faire savoir » et « faire comprendre » les phénomènes qui se déroulent.

 

Hier, 10 Septembre 2015, alors que je me baladais comme d’habitude sur les réseaux sociaux, je découvre ce tweet dans lequel une image de l’Université de Buéa fait la une.

On y observe un rang de personnes. Après vérification auprès de sources sur place, il s’agit bien des étudiants de l’Université de Buéa. Mais s’agit-il de l’inscription? Les réponses à ce tweet sont expressives comme le tweet.  Voici une de ces réponses:

Un autre estime que « certains n’ont pas encore compris la nécessité de s’arrimer aux technologies de l’information et de la communication ».  Je me dirige sur facebook. C’est le compte de Martin Wato qui est la cible de toutes les attentions. Lui qui a posté l’image le 09 Septembre, à 21h30, a récolté un peu plus de 200 « partages ». Ce soir, le compteur affiche 353 « partages ».  Dans les commentaires, c’est chacun qui se demande si « l’Université de Buéa ne connaît pas encore la technologie ». D’autres posent plutôt la question de savoir « pourquoi ce fil d’attente à l’ère des technologies? » Ce matin, je reçois à nouveau ce partage du tweet de Annie Payep. Partage à la suite duquel, il est mentionné « pitoyable ».  

Sur facebook, c’est la page nommée « Mathias Eric Owona Nguini » qui reprend la photo partagée par « Martin Wato ». Elle est accompagnée de ces termes:

Inscription à l’Université de Buéa en plein 21e siècle. mama Sara, le Cameroun de Paul Biya.

Après tous ces posts et ces tweets, c’est un site web qui m’a finalement obligé  à rédiger ce texte. Dans cet article, l’auteur, sans avoir vérifié l’information, estime que « des étudiants de l’Université de Buéa sont en file indiens pour s’inscrire ». Ce qui traduit, selon l’auteur de l’article, « le retard du système éducatif camerounais en général et universitaire en particulier par rapport à l’appropriation des nouvelles technologies de l’information ». Cette non vérification doublée d’une généralisation du phénomène conduit l’auteur ainsi que les autres publications à donner la mauvaise information. Ils laissent l’image parler. Pourtant, elle n’est pas assez expressive. Si on voit des étudiants en file indiens, on ne peut pas savoir exactement les raisons pour lesquelles ils sont placés ainsi.

Je me suis donc posé la question de savoir: à quoi renvoie cette image? Finalement, renvoie-t-elle aux files d’attentes pour inscription.

J’ai contacté quelques personnes à Buéa pour en savoir davantage. Conscient  que cette image peut avoir été prise à Buéa, à cette période, mais peut ne pas renvoyer à la réalité que ces internautes veulent décrire. Ma première informatrice, étudiante à l’Université de Buéa m’a confié qu’il ne s’agit pas des inscriptions. Ce qu’a confirmé la seconde, elle aussi étudiante à l’Université de Buéa: « il s’agit du retrait des relevés de notes ». Elle poursuit en ces termes « cette affluence est due au fait que beaucoup de personnes ont des problèmes de notes. Comme le rattrapage débute lundi, ces personnes veulent récupérer leurs relevés de notes pour connaître les matières qu’elles recomposeront. » Selon ces sources, il ne s’agit pas des « inscriptions » ou « préinscriptions ». Il y’a certes un autre problème. Celui de l’indisponibilité des notes, ce qui est grave. Mais pas de problème d’inscription.

Les utilisateurs des réseaux sociaux ont déjà imaginé l’origine du problème, les ressorts du problème au point de démanteler les responsables. En plus, les généralisations s’en sont suivies: « le Cameroun est pitoyable », « choses extra », « le Cameroun est monté », « les universités Camerounaises ne s’arriment pas aux technologies » etc.

C’est peut-être à ce niveau l’un des inconvénient de l’utilisation que nous faisons des réseaux sociaux. On veut poster, partager, commenter, aimer, tweeter, retweeter, favorite et faire du buzz. Le souci de comprendre et de faire comprendre a quelque peu foutu le camp, pour laisser la place à la précipitation.

Ensuite, la généralisation. La réalité qui s’observe à l’Université de Buéa n’est pas identique à celle de l’Université de Maroua. Ce n’est pas parce qu’il y’a cette ligne que c’est toutes les Universités camerounaises qui ont le même problème. Ces généralisations traduisent la facilité et la rapidité avec laquelle certaines questions sont de plus en plus traitées. La rigueur qui devrait imposer un souci de compréhension et pousser les uns et les autres à vérifier une hypothèse de départ (l’image pour le cas qui nous concerne) n’est pas la chose la mieux partagée.

Avec la multitude des informations qui sont diffusées sur les réseaux sociaux, il est plus que jamais urgent de prendre du recul, de vérifier les informations avant de les partager. Sinon, on se laisse diriger par les technologies, au lieu de leur donner l’orientation qui nous convient.

Sur twitter, je suis @ulrichtadajeu


Cameroun: voici Pourquoi nous devons rester unis

Drapeau du Cameroun. Crédit image: commons.wikimedia.org
Drapeau du Cameroun. Crédit image: commons.wikimedia.org

Le 20 Mai 2015, c’était  la fête de l’Unité nationale dans mon pays, le Cameroun. Une tradition qui dure depuis 43 ans. Dans ce billet, je présente trois raisons pour lesquelles, nous devons rester unis.

Le 06 Mai 1972, prenant à cours l’espace politique camerounais, le chef de l’Etat Ahmadou Ahidjo convoque le referendum pour le 20 Mai 1972. L’objet de ce référendum porte sur la mise en place de l’Etat unitaire. Ahmadou Ahidjo décide, 11 ans après la naissance de l’Etat fédéral (1er Octobre 1961), de la mise sur pied de l’Etat unitaire. Le 20 Mai 1972 (si certaines sources parlent du 18 Mai 1972 comme date du référendum, d’autres sources évoquent plutôt celle du 20 Mai. Les documents de V.J. Ngoh et Philippe Gaillard parlent du 20 Mai. N’ayant pas eu accès à des sources qui parlent du 18 Mai, j’utilise dans ce texte les sources auxquelles j’ai eu accès), les Camerounais sont convoqués pour le référendum.

Selon les chiffres officiels, plus de 99 % sont pour l’Etat unitaire. Le Cameroun devient, le 20 mai 1972, un Etat unitaire. C’est cet anniversaire que notre pays célèbre ce jour. Même si ce projet unitaire a été détourné par ceux qui n’ont réellement pas combattu pour cela, il reste que  l’unité doit vivre dans nos cœurs. Alors, pourquoi les camerounais doivent rester unis ?

1) Parce que la division est une contingence historique et non une réalité qui nous a toujours caractérisés. Le Cameroun a toujours été uni. Cette constance historique a connu une rupture lors de la première guerre mondiale. Suite à cette guerre, la France et l’Angleterre, qui ont vaincu l’Allemagne en territoire camerounais se partagent le territoire camerounais en 1916. Ce partage est officialisé par les organisations internationales, notamment le traité de Versailles de 1919, l’accord Milner-Simon de 1919 et la Société Des Nations. Le Camerounais devient un territoire sous mandat de la SDN, avec comme puissance mandataire la France et la Grande Bretagne. Cette division est donc une invention franco-britannique qui ne reflète aucunement les aspirations des populations camerounaises. Bien au contraire, celles-ci vont manifester leur opposition à la division du Cameroun.

2) Lorsque cette unité à été rompue,  les populations camerounaises ont lutté pour la restaurer. 

En effet, après le placement du Cameroun sous mandat de la SDN en 1922, avec comme puissances mandataires la Grande Bretagne et la France, les populations et les leaders politiques ont lutté pour restaurer l’ordre rompu.  Cela s’est manifesté par les pétitions des chefs Douala adressées à la Société des Nations. Mais l’organisation qui s’est le plus manifesté dans la lutte pour la restauration de cette unité c’est l’Union des Populations du Cameroun (UPC).

Créée en 1948 à Douala, l’UPC a fait de l’unité nationale le pilier de ses revendications vis-à-vis de la puissance coloniale. Ce qui l’a amenée à la traduire en acte à travers des principes, des pétitions et des actions. Au moment de sa création, le parti nationaliste fait de la réunification « la seule voie par laquelle le Cameroun doit passer pour accéder à l’indépendance. » Ne pas l’accepter revient, selon les membres de l’UPC , à vouloir l’indépendance d’une partie du Cameroun. Pour ce faire, le programme de ce parti tel que présenté dans les statuts se résume en trois points : « grouper et unir  les habitants de ce territoire en vue de permettre l’évolution plus rapide des populations et l’élévation de leur standard de vie ».

Suite à l’analyse de la situation du Cameroun, le parti de Ruben Um Nyobe conclut que la division qui a été faite après la guerre de 1914-1918 est une division arbitraire et injuste.  Cette division était préjudiciable au Cameroun. Raison pour laquelle, la « seule condition du succès » selon les upécistes était l’union. Il faut s’unir, disaient-ils.

Cette volonté d’union les a amenés à échanger avec les leaders politiques du Cameroun sous administration britannique pour envisager la meilleure forme d’union.  A cet effet, plusieurs rencontres ont eu lieu entre les leaders upécistes notamment Ruben Um Nyobé, Ernest Ouandié, Abel Kingué, Felix Roland Moumié et les leaders politiques du Cameroun Britannique à savoir J.K. Dibongue, M.N. Mbile du Kamerun United National Congress (KUNC) et Ndeh Ntumazah. Ces rencontres ont eu lieu en 1951 et 1952. En 1951, la rencontre a eu lieu à Kumba entre Ernest Ouandié, Abel Kingué et R.J.K Dibongue et N.M. Mbile. Un an plus tard, c’est Ruben Um Nyobe et Abel Kingué qui rencontrent une délégation du K.U.N.C., rencontre au cours de laquelle, selon Ndeh Ntumazah, Abel Kingué dit en Anglais pidgin que :

 Independence and reunification dey like soup with achu fufu. For get independence and get reunification tomorrow idey like for tchop achu today, drink soup tomorrow. The two must go the same time.

 Pour lui, la réunification et l’indépendance doivent aller ensemble.

C’est ce principe que Ruben Um Nyobe a défendu devant la tribune des nations unies le 17 décembre 1952. Pour lui, l’indépendance ne peut pas se réaliser sans unification. Même s’il s’agit à cette époque de l’unification entre les deux parties du Cameroun séparées par le fleuve Moungo, il demeure que cette volonté d’unité est déjà présente et défendue ardemment par les Camerounais.

Après l’expulsion de la branche exilée de l’UPC du Cameroun britannique le 30 mai 1957, expulsion censée prendre effet le 09 Juillet 1957, les leaders upécistes décident de créer une copie du parti au cameroun britannique qui est appelée « One Kamerun », en abrégé « OK ». Ce parti est dirigé par Wilson Ndeh Ntumazah.  Il poursuit la conduite des idéaux défendus par l’UPC. Ces aînés-là ont combattu pour que l’unité soit une réalité. Ils ont été assassinés, pour la plupart, avant que ne naisse l’Etat unitaire en 1972. Ruben Um Nyobè en 1958. Les autres entre 1960 et 1971. Mais, on ne peut pas nier ce rôle très important qu’ils aient joué.

Pour ces raisons, il est important de rester unis. Rester unis pour poursuivre cet idéal défendu par nos aînés, pour revenir à la réalité Camerounaise, celle d’un Cameroun un et indivisible. Rester unis pour montrer à ces aînés que leur mort n’a pas été vaine.

3) parce qu’en étant unis, on est plus fort

Le 21ème siècle est marqué la mondialisation. Cette époque est celle du rendez-vous du donné et du recevoir. Période au cours de laquelle, il faut éviter d’être un consommateur. Il est important de produire, de proposer au monde des outils économiques, des modèles politiques et des valeurs culturelles susceptibles  de le faire croître. De peur d’être envahis par les produits extérieurs. Pour que cela soit effectif, les Camerounais doivent rester unis. Cette union ne signifie pas négation ou effacement des tribalités et des singularités. Elle équivaut à la rencontre des différences au niveau national pour se mettre ensemble afin d’atteindre les objectifs de développement que nous nous sommes fixés. Elle renvoie à la mise ensemble des différences pour produire une culture hybride, une culture issue de ces multiples appartenances. Laquelle culture pourra mieux être vendu sur la scène internationale.

Au niveau local, l’unité nationale renforce le patriotisme et le respect de l’intérêt général. Ce qui freine l’éclosion et le renforcement des pratiques telles que le tribalisme, le népotisme, le patrimonialisme… Ces valeurs feront des camerounais, partout où ils interviennent, des personnes de qualité. Celles-ci se caractérisent par le fait qu’au-delà des compétences, elles convoquent à tout instant l’intérêt général dans leurs actions, elles mettent en pratique l’honnêteté dans leurs manières de faire. L’unité nous épargne de nombreux maux, nous met ensemble afin d’être de réels producteurs en ces temps de compétitivité qu’impose la mondialisation.

Pour ces raisons, les Camerounais doivent rester unis. Pas parce qu’un parti ou un individu leur aurait imposé. Parce que la réalité historique montre que le Cameroun a été uni. La rupture qui intervient au  XXème siècle est le fruit des volontés extérieures.  Parce que, malgré la division du Cameroun, des Camerounais ont lutté jusqu’à mourir pour que l’unité soit restaurée. Enfin, parce qu’aujourd’hui, dans un monde de compétitivité, c’est en étant uni qu’on peut être des producteurs influents.

Alors, chers camerounais, restons unis !

NB: ce billet est publié dans le contexte de la fête de l’unité qui a eu lieu le 20 mai au Cameroun. Plusieurs livres m’ont permis d’avoir certaines informations historiques que je mobilise dans ce billet. Je vais citer quelques uns:

Abwa Daniel, Cameroun: histoire d’un nationalisme 1884-1961, Yaoundé, Editions clé, 2010.

Ngoh Victor Julius, Cameroun 1884-1985, Cent ans d’histoire, CEPER, Yaoundé, 1990.

Um Nyobe Ruben, Ecrits sous maquis (présentation de Achille Mbembe), paris, L’harmattan, 1989.


Célébrer les morts: une opportunité pour l’homme politique au Cameroun

Cérémonie de levée de corps des soldats tombés à l'Extrême-Nord: Quartier général de Yaoundé le 28 août 2014.  ©Eric B. Lamere
Cérémonie de levée de corps des soldats tombés à l’Extrême-Nord: Quartier général de Yaoundé le 28 août 2014.
©Eric B. Lamere

J’ai récemment rédigé un billet dans lequel je m’interrogeais sur le sens et la signification que nos institutions (Cameroun) donnent à certaines mort-offrande.

Pour moi, il s’agit tout simplement d’une profanation de ceux-là qui, sous d’autres cieux, auraient fait l’objet d’un culte global. Non pas parce que leur vie aura été un véritable témoignage de ce qu’on peut attendre lorsqu’on parle de patriotisme, mais parce que leur mort est une manifestation de leur résistance au contre-modèle du patriotisme et de l’humanisme : la barbarie doublée d’une bestialité. Dans ce texte, je prolonge mon interrogation sur la mort en la présentant comme une opportunité politique pour les vivants.

Les vivants ne font pas l’expérience de la mort. Ce qui limite leur possibilité d’interrogation réelle sur ce phénomène. Cependant, les vivants peuvent consacrer ou profaner les morts. Afin, il leurs revient de donner un sens à cet au-delà de la mort pour ceux qui sont partis. Or il apparaît effectivement que les morts n’ont pas la même valeur. Il y’a ceux qui meurent dans leurs lits d’hopital après de longues maladies, il y’a ceux qui meurent dans leurs chambres parce qu’ils étaient des malades qui s’ignoraient, il y’a ceux qui meurent des suites d’accident mais il y’a enfin ceux qui meurent parce qu’ils ont voulu défendre des idées, des valeurs constitutives de notre nation. Ils ont voulu être patriotiques et sont tombés car en face d’eux, il y’avait des ennemis de la nation, les vrais ennemis. Je parle des personnes tombées parce qu’ils ont voulu revendiquer un mieux-être pour eux et pour les leurs.

Il s’agit notamment des personnes mortes sur le champ de guerre qui veulent défendre l’intégrité de notre territoire, il s’agit des individus qui combattirent pour notre réunification et notre indépendance totale, des autres individus tués pour avoir revendiqué en 2008 un mieux-être existentiel pour les camerounais…Ces morts ajoutées à ceux tombés parfois dans des accidents catastrophiques, des catastrophes naturelles sont de sérieuses opportunités pour ceux qui nous dirigent.

L’homme politique doit utiliser toute situation qui se présente à lui comme opportunité d’accroitre son prestige auprès de ceux qui l’ont élu (au cas où ils l’ont effectivement élu). Toutes ces morts peuvent dont être des objets de discours dans un pays comme le Cameroun où, parfois, on a l’impression que les dirigeants manquent les sujets de discussion. Prendre la parole sur ces morts, prononcer un message de vie, un message de fraternité à ces occasions serait plus fédérateur et susciterait davantage l’émotion collective et, peut-être, le ralliement que des déclarations sèches et sans vie comme celles de mai 2014 à l’élysée.

une nation a besoin de narration pour se construire. Cette narration peut s’appuyer, entre autre, sur le sens du combat de ceux qui sont morts. Car, s’ils combattaient contre le contre-modèle de la nation, alors ils étaient des patriotes qui sont allés jusqu’au sacrifice ultime dans l’expérience de ces valeurs. Leur vie aura donc été un témoignage de ces valeurs pour s’achever par une offrande totale. Comment ne pas se servir de leur mort comme support d’un discours sur la nation ? Comment ne pas se servir de leur mort pour, enfin, devenir simplement des humains ? Comment ne pas se servir de leur mort pour annoncer un message de paix et de fraternité qui ferait plus sens dans la mesure où leur mort permettrait de rendre mieux compte de ces valeurs ?

Pour qu’elle puisse fédérer, l’émotion doit être utilisée par les hommes politiques. Ils doivent construire un discours, développer des campagnes de communication pour faire accepter ces émotions comme « seul » état d’esprit qui vaut pour ce moment. On l’a vu avec la fameuse affaire charlie Hebdo. De commun accord avec les médias, les hommes politiques français ont pris les devants de la scène pour construire tout un discours sur la liberté et les droits de l’homme autour de Charlie Hebdo.

Même si le journal était assez controversé dans l’opinion, ils ont réussi à faire des noms des morts rassemblés sur le syntagme « Je Suis charlie » un slogan des valeurs de liberté et de droit de l’homme. Ils ont réussi à faire de leurs émotions, des émotions mondiales en produisant un discours sur les morts, des morts-offrandes. Quelques jours plus tard, François Hollande connaissait une hausse de popularité jamais atteinte selon les instituts de sondage.

Or, au Cameroun, depuis près d’un an, des gens sont tués par dizaine, centaines par  les barbares de Boko Haram. Chaque jour, c’est le même discours « on a déclaré la guerre à Boko Haram ». Cette déclaration suivie des différents rassemblements des ministres au Cameroun comme ailleurs ne suffisent pas pour barrer la voie à Boko Haram. Il faut l’implication des populations. Or, celles-ci ne s’impliqueront réellement du nord au sud, de l’est à l’ouest que lorsqu’on aura suscité en elles une émotion générale.

Lorsqu’on rentre dans l’histoire d’un pays comme le Cameroun, on se rend compte que ceux qui ont réussi à faire accepter certaines idées au sein de la population, ce sont les leaders politiques soit ceux au pouvoir, soit les plus charismatiques. Aujourd’hui, pour faire exister cette idée d’émotion au sein de la population camerounaise, il faut que Paul Biya et ses ministres deviennent des hommes tout simplement. Pour le devenir, ils est nécessaire transformer ces morts-offrande en opportunité politiques.


Que signifie mourir au Cameroun ?

Cérémonie de levée de corps des soldats tombés à l'Extrême-Nord: Quartier général de Yaoundé le 28 août 2014.  ©Eric B. Lamere
Cérémonie de levée de corps des soldats tombés à l’Extrême-Nord: Quartier général de Yaoundé le 28 août 2014.
©Eric B. Lamere

La fête de la jeunesse au Cameroun a été célébrée le 11 Février. Comme d’habitude, les « jeunes » se sont mobilisés un peu partout sur le territoire national  pour manifester leur soutien au chef de l’Etat surtout en cette période trouble où Boko-Haram frappe à nos portes et sème la terreur. Comme d’habitude, le président de la République, Paul Biya, a prononcé un discours sec, fade et sans vie le 10 Février.

Discours adressé aux jeunes sous forme de monologue impotent dans lequel il invitait ces jeunes à ne pas suivre les « oiseaux de mauvaise augure » qui cherchent à déstabiliser le Cameroun via les réseaux sociaux. C’est ce que ce régime aura produit en 32 ans de règne : aucun dialogue. Juste des monologues.

Mais c’est davantage la mort qui attire mon attention en cette fête de la jeunesse. Dans un contexte marqué par les attaques de Boko Haram à l’extrême nord avec la terreur qu’on connait, plusieurs personnes meurent. Les civils comme les militaires n’échappent pas à cette barbarie humaine de notre temps. Certains meurent parce qu’ils défendent la souveraineté du Cameroun et donc contribuent à nous faire vivre en paix. D’autres paient le prix de cette barbarie juste parce qu’ils sont des hommes et qu’ils se sont retrouvés sur le chemin de ces ennemis de l’humanité d’un autre genre. La dernière tuerie en date a eu lieu à Fotokol (localité située à l’extrême-nord et frontalière entre le Cameroun et le Nigéria) mercredi 04 février dernier. Alors que les sources officielles annoncent un bilan de près de 81  civils tués pour 13 militaires tchadiens et 06 militaires camerounais, les informations récoltées auprès des habitants parlent plutôt de 400 civils tués. Ce n’est pas autant surprenant dans la mesure où, en contexte de guerre, la bataille des chiffres est un élément important. Cependant, des individus sont morts, au moins une centaine de personnes ont été tuées par ces barbares.

Et comme d’habitude, silence total des autorités. Lorsque je parle d’autorité ici, je parle en premier lieu du président de la République, Paul Biya. Il est le premier soldat, il est le « chef de guerre ». D’ailleurs, c’est lui qui, en mai 2014, déclare la guerre à Boko-Haram. Il est aussi, on ne le souligne jamais assez, un « père ». Il peut humaniser la politique et profiter de ces occasions pour délivrer un « message de vie » et non plus attendre les veilles du 11 février pour faire un monologue  dénué de  « vie » et qui se rapproche plus d’un bois sec que d’un message. Je parle aussi des autres autorités qui refusent de prendre publiquement la parole en de pareilles circonstances pour saluer et célébrer ces morts. Au final, ils sont morts pour que nous vivions. Comme les 26 soldats qui ont été tués en Août 2014 par ces mêmes barbares de Boko Haram.

Je commence à penser que mourir ne signifie plus rien chez nous. Surtout les morts-offrande comme celles qu’on observe en ce moment à l’extrême-nord. Le discours sur ces morts aurait pu être de sérieux messages au ralliement national. Au-delà du devoir de gratitude envers ces « morts-pour-nous », parler d’eux serait une opportunité politique mais aussi patriotique. En ce sens que leur acte de bravoure serait présenté sur la scène publique comme signe d’attachement total à la patrie. Mais que voit-on ? Des jeunes qui passent le temps à soutenir une « chef de l’Etat » absent complètement et silencieux. Non, cher président, au XXIème siècle on ne peut prétendre vaincre un ennemi sans communiquer, sans mobiliser les populations. Cette mobilisation nécessite un supplément d’âme même s’il est hypocrite. Parler des morts, soutenir les familles des morts pour la patrie, montrer que la nation dont vous êtes le premier représentant (qu’on le veuille ou pas) compatit à cette douleur parce qu’ils ont combattu pour maintenir la souveraineté du pays permettraient d’apporter plus de vie à votre façon de gouverner.

On voit que mourir ne signifie rien au Cameroun si ce n’est disparaître comme un vulgaire chien. Je parle des morts-offrande, des morts-martyrs. Mourir même lorsque vous défendez le pays ne fait sens que pour votre famille et ceux qui vous ont connu. Au niveau officiel, votre mémoire n’est pas célébrée autant qu’elle le mérite. Or, l’avènement du patriotisme dans notre société dépend en partie de la façon dont on gère la mémoire et la figure de ces morts. Car leur vie, leurs actes comme ceux des nationalistes des années 1960 est un témoignage de l’attachement à la patrie. Mourir devrait signifier autre chose que ce qu’on voit actuellement dans ce pays.

Je dédie ce billet aux personnes tombés à Fotokol le 04 février 2015 et à toutes ces personnes qui se battent pour que nous vivions! #StopBokoHaram


Pourquoi des blogueurs en temps de barbarie ?

Le logo de la campagne.
Le logo de la campagne.

Depuis hier, 19 janvier 2015, la blogosphère camerounaise est en campagne de sensibilisation via les médias sociaux contre le terrorisme qui fait des ravages au pays  en particulier et dans le monde en général.

Représenté dans la partie septentrionale du Cameroun par la nébuleuse Boko Haram, il ne cesse de faire des ravages à travers des exactions, des destructions, de tueries et des otages. Ils nous replongent dans ce que l’homme a de plus bestial : donner la mort à son semblable. Dans ce contexte, la mobilisation des blogueurs et autres web activistes camerounais n’est que la bienvenue dans un contexte où seuls ceux qui communiquent sur leurs émotions peuvent rassembler un maximum de personnes autour de la cause qu’ils défendent.

J’épouse totalement cette initiative parce qu’au-delà et avant tout, il y a l’humain. Cette condition qui fait de nous des semblables bien qu’étant loin les uns des autres. Et en toutes choses, c’est l’humain qui doit être au centre des préoccupations. Il faut dire stop à Boko Haram pour que vive l’humain, pour que ce que nous avons de bien, de grand et de créatif puisse vivre et s’épanouir partout où nous nous trouvons.

 J’ai commencé à bloguer il y a quelques années pour « crier et forcer le monde à venir au monde » pour reprendre les mots de Sony Labou Tansi. Mais avec de tels désastres de notre espèce sur notre propre espèce, avec une pareille terreur qui décime des vies, terrorise des familles, on peut bien se demander avec Hölderlin « pourquoi des poètes en temps de détresse ? » Autrement dit, « pourquoi des blogueurs en temps de barbarie ? »  Des blogueurs en temps de barbarie pour annoncer un message d’amour et de paix, un message de fraternité et d’humanité. C’est ce message que je passe aujourd’hui à travers mon blog. Que l’humain vive, que la paix et la fraternité soient nos valeurs pour que cesse Boko Haram et vive l’humain.

Car si Boko Haram vit, ce sont nos activités qui vont disparaître, c’est notre liberté qui ne sera plus qu’un vain mot. Plus de bière, plus de boîte de nuit pour les amateurs de ces plaisirs. Plus de bibliothèque, plus d’archives, plus de lectures, plus de conférences, de séminaires et de colloques pour les amateurs de sciences. Les lieux de conservation du patrimoine seront fermés lorsqu’ils n’auront pas été simplement détruits. Bref, nous retournerons à des années en arrière sacrifiant au passage certains acquis incontestables. Je dis non à Boko Haram parce qu’avec Boko Haram, l’humain disparaît. Il laisse la place à l’animal. Et la liberté chérie fout le camp.

Alors, unissons-nous aux blogueurs et à tous les Camerounais pour dire non à cette nébuleuse. Unissons-nous à ces Camerounais pour chanter l’hymne de l’humanité. Unissons-nous pour que la terreur cesse et que le monde redevienne un espace humain. Rassemblons-nous pour que le monde revienne au monde et que la barbarie retourne à son domicile : hors de ce monde.

Comment le faire ?

En utilisant le hashtag #stopbokoharam sur twitter, facebook, instagram, google+… pour participer à la sensibilisation, mais aussi pour suivre le déroulement des activités concernant cette campagne.

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En chantant l’hymne de la paix, la fraternité, la liberté et la tolérance dans les espaces qu’on fréquente au quotidien.

#stopBokoHaram


Camerounais, Cessons de nous mentir en 2015

Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Crédit photo: wikipédia.
Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Crédit photo: wikipédia.

L’ Hebdomadaire panafricain Jeune Afrique  a titré en une de son numéro 2814 (14-20 Décembre 2014)  « Cameroun, Le péril Jeune. » Le sous titre est le suivant : « Les moins de 30 ans, qui n’ont connu que Paul Biya, peinent à se faire une place dans une société confisquée par leurs aînés. Jusqu’à quand le supporteront-ils ? » Et comme d’habitude à la suite de ce genre de sorties, certains journalistes camerounais trouvent le prétexte pour manifester leur pseudo-panafricanisme. Dans une série de phrases sans arguments concrets, ils nous font des révélations scandaleuses sur la gestion  des fonds publics sans jamais démonter les propos de jeune Afrique ou d’autres personnes.

Juste après la publication de ce numéro, c’est le journal La Météo qui a pris les devant de la scène. Le journaliste qui a signé ce papier nous fait savoir qu’en fait Jeune Afrique n’est pas à sa première forfaiture et que les dirigeants de ce journal sont mécontents parce que la République du Cameroun ne leur paie plus les 600 et poussière de millions qu’elle leur offrait jadis mensuellement. Donc, on leur offrait des millions chaque mois alors que les étudiants au Cameroun ne sont pas capables d’acheter un livre à cause de l’absence des bourses ? C’est piteux quoi ! Mais bon, notre journaliste panafricaniste d’un jour poursuit en faisant savoir que Jeune Afrique veut ainsi manipuler les consciences pour ques les Camerounais imitent les exemples Burkinabès et autres. Un peuple a-t-il besoin qu’on le manipule pour revendiquer ce qui lui revient de droit? Un peuple a-t-il besoin d’être manipulé pour  vouloir le changement? Pour Abdoulaye Bathily (représentant du Secrétaire Général de l’ONU pour l’Afrique Centrale),

Même là où la question de la Constitution ne se pose pas, parce que les pouvoirs ont depuis longtemps réglé la question, l’aspiration à l’alternance est une donnée qui ne doit pas être négligée. Quel que soit le niveau de réalisations d’un pouvoir, quels que soient ses succès économiques, il y aura toujours un désir de changement.

Je ne suis pas sûr que C’est « Jeune Afrique » qui dictera aux Camerounais le temps de ce changement.

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Après avoir lu cet article, j’ai décidé de découvrir le contenu de l’article de Jeune Afrique. J’ai constaté que jeune Afrique ne nous apprend rien  sur ce qui existe déjà. Je ne sais pas si le problème se pose dès lors que c’est jeune Afrique qui en parle ou alors autre chose. Faut-il être un ennemi extérieur pour se rendre compte que ceux qui détiennent les pouvoirs au Cameroun sont des vieillards ? Pouvoir exécutif (Paul Biya est aux hautes fonctions depuis la décennie 1960, Premier ministre de 1975 à 1982 et président depuis 1982, il va souffler sur sa 82ème bougies en février prochain) avec pour premier Ministre Philémon Yang qui a été dans le gouvernement de Ahmadou Ahidjo du 30 Juin 1975. Le Pouvoir législatif a comme présidents : chambre haute c’est-à-dire le Sénat avec Marcel Niat Njifenji (80 ans) comme président et la chambre basse (parlement) avec Cavaye Yéguié Djibril (74 ans) en poste depuis le retour au multipartisme (1992) comme président. Non, il ne faut pas être jeune Afrique pour le voir ainsi. Il faut juste cesser d’être myope comme ce journaliste et plusieurs autres qui refusent de voir les choses telles qu’elles sont. Ils préfèrent se couvrir du parapluie d’un pseudo nationalisme pour chercher les poux là où il n’y en pas. Que jeune Afrique ait dit quelque chose de pareil, ce n’est pas nouveau dans la mesure où c’est ce qui existe. Le jeune n’est pas pris en compte au Cameroun. Si oui, lorsqu’on a besoin de sa force électorale. A ce moment, on lui balance quelques billets rouges (2000 fcfa) ou verts (5000 fcfa) et puis le tour est joué. Mais à des postes de responsabilité, on voit des vieux comme s’il n’y a pas des jeunes âgés de 30, 35 ans capables d’assumer  ces responsabilités. Ne pouvant pas s’opposer ouvertement parce que le Cameroun est une démocratie sur les papiers, sur les chiffres et non dans les faits et dans la forme, ces jeunes sont obligés de se donner à des pratiques tels que l’alcoolisme et se désolidarisent de la vie politique (cf. cette étude de la Friedrich Ebert Stiftung (Cameroun) sur  « Les jeunes et la politique au Cameroun quelles perceptions pour quelle participation ? »).

Lorsqu’on parcourt l’article du journaliste de La Météo, on comprend qu’il n’a aucun argument à avancer contre le texte de Jeune Afrique. Il se cache alors derrière des affirmations qu’ils croient préjudiciables pour Jeune Afrique alors que c’est le contraire. Comment dans un pays comme le nôtre dont on relève chaque jour les insuffisances, des individus sont capables de donner chaque mois une pareille somme à des individus ?

Quelques semaines après cet article, une tribune a été publiée dans le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune le 30 Décembre 2014. Une correspondance particulière qui porte l’estampille d’un « journaliste principal hors échelle émérite ». Joseph Janvier MVOTO OBOUNOU puisqu’il s’agit de lui relève les différents mensonges du reportage de Jeune Afrique et estime que « même » dans les autres pays ou les autres sociétés, les dirigeants sont des vieillards. D’ailleurs, Bechir Ben Yahmed a 86 ans et pourquoi ne laisse-t-il pas la chronique « ce que je crois » à un jeune journaliste de 35 ans?  Il évoque aussi les différents combats de Paul Biya, ses réalisations et surtout le dernier en date, le plan d’urgence. Pour lui comme pour le journaliste de la Météo, cet article est un « appel à l’insurrection ».

Ils nous rappellent bien la polémique qui a fait les choux gras de la presse camerounaise après la publication du livre de Fanny Pigeaud « Au Cameroun de Paul Biya ».  Les journalistes avaient  crié au complot estimant que la journaliste française Fanny Pigeaud est un pion de l’impérialisme occidental visant à déstabiliser le Cameroun à travers son livre. Florian Ngimbis, blogueur camerounais, avait rédigé un billet pour dire que le Cameroun dont parle la journaliste française c’est le Cameroun de tous les jours, ce qui se passe sous nos yeux chaque jour. J’ai bien envie de dire la même chose au sujet de ces réactions inutiles de certains journalistes camerounais à jeune Afrique.  En fait, Jeune Afrique ne dit que ce que les Camerounais dans divers espaces pensent et disent chaque jour : les gérontocrates gouvernent une population majoritairement jeune. Au lieu d’adresser de pareilles réalités qui, sur le long terme, peuvent représenter de réels défis pour l’alternance au Cameroun, des individus préfèrent voir le complot là où il n’y en pas.

Tout ceci traduit une paresse perceptible au Cameroun et qui consiste à toujours chercher un ennemi extérieur dans l’explication de notre situation.  On est plus apte à parler de  ce qui arrive aux autres (Côte d’Ivoire, Burkina-Faso…) et à crier à l’impérialisme occidental partout alors même qu’on peut commencer par nous interroger notre propre responsabilité sur ce qui nous arrive. Elle traduit un mal plus vaste qui est notre faculté à nous mentir nous-même. 5 ans après le cinquantenaire de notre « indépendance », nous devons cesser de nous mentir nous-mêmes.  Car comme  dit le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga « une société qui se ment est condamné à vivre dans le chaos permanent. »

Au sujet d’une société qui se ment, je vous recommande ces mots de Fabien Eboussi Boulaga.

Bonne et heureuse année 2015 à tous les humains!


Burkina-Faso: les leçons que je retiens

La place de la Nation remplie de Burkinabés. Photo: @Joepenney
La place de la Nation remplie de Burkinabés. Photo: @Joepenney

Blaise Compaoré a voulu modifié l’article 37 de la constitution. Cette modification devait lui permettre de se présenter à nouveau au poste de président. La session de l’Assemblée Nationale qui avait la charge de le faire devait se tenir le 30 Octobre 2014. Mais, cette session n’a jamais eu lieu parce que le peuple a pris les commandes. Fâchés, déterminés, les Burkinabés ont pris d’assaut la place de la nation devenue Place de la Révolution à Ouagadougou pour protester contre ce vote et obtenir non seulement son annulation mais aussi la démission de Blaise Compaoré. Ceci s’est passé en 72 heures, 29, 30, 31 octobre. C’est vrai que depuis ce 31 Octobre, la situation est floue car plusieurs personnes se sont proclamés Présidents de la transition. Mais, c’est finalement le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida qui assurera le processus le temps de me Mais, voici ce qui m’a marqué ou en tout cas les leçons que je retiens.

La fin des dictateurs commencent par la destruction des symboles. Un dictateur est un individu imbu de lui qui a, à travers un ensemble de stratégies et pratiques, institué dans l’imaginaire collectif qu’il est un « Dieu ». Celui-là qui doit les sauver du mal et de la barbarie. Pour mieux inscrire cette croyance dans l’imaginaire collectif, il use des symboles, des images, des effigies et des discours. Il est présent partout à travers des statues, des noms de baptême pour des lieux.etc. Le jour où le peuple se rend compte qu’il n’est pas « Dieu », il commence par détruire ses effigies. C’est l’action que les Burkinabès ont posée. Détruire les effigies de Blaise Compaoré. On a même vu des chèvres manger ces photos présentes à Ouagadougou.  C’était un signe fort dans la mesure où le peuple affirme par cet acte symbolique que « Compaoré n’est pas Dieu, il est un homme, parmi tant d’autres. Tout simplement. »

Destruction d'une statue à de Blaise Compaoré. Photo: Burkina24
Destruction d’une statue à de Blaise Compaoré. Photo: Burkina24

Quand la femme s’y mêle avec des outils aussi banales que les spatules mais empreins de lourdes significations, ça va jaser. En effet, j’ai été marqué lors de ce soulèvement populaire par le rôle joué par la femme. Depuis le début des manifestations, elles ont été là comme jadis les femmes dans les maquis en pays Bamiléké et Bassa ont soutenu leurs époux ou encore ces femmes ivoiriennes qui ont marché sur l’actuel pont de la victoire pour exiger la libération de leurs époux. Leurs armes étaient les spatules. Rien que les spatules ? En fait, dans la symbolique, ces femmes ont voulu dire que « la peur est finie » et qu’elles sont prêtes à « tenir tête à l’autorité » comme m’a confié un Burkinabè. Un geste fort dans la tradition de ce pays. C’est une action qui complète la première. Compaoré n’est plus le dieu, on n’a plus peur de lui. Le reste n’est qu’une application de ce qui précède. Mais, ce sont, à mon sens les fondations de ce soulèvement.

Les femmes dans les rues de Ouagadougou. Source: Burkina24
Les femmes dans les rues de Ouagadougou. Source: Burkina24

Les jeunes sont prêts à rompre avec les anciens équilibres et donner la direction qu’ils veulent aux choses. Toutes les statistiques sont unanimes : les jeunes représentent aujourd’hui la majorité de la population africaine. Or, ceux qui les dirigent sont parfois arrivés au pouvoir lorsqu’ils n’étaient pas nés. Certains ont pensé que la jeunesse africaine est amorphe, inconsciente. Mais les soulèvements du Burkina-Faso nous prouvent le contraire. En effet, les jeunes étaient les plus représentés dans les rues lorsqu’il s’agissait d’aller à l’Assemblée Nationale ou encore à la Radiotélévision Burkinabè (RTB). Comme le montre cette image, « la Patrie ou ma mort ».

Photo prise sur le mur facebook de Rommy Romuald.
Photo prise sur le mur facebook de Rommy Romuald.

Un acte de courage mais surtout un appel de la jeunesse africaine à partir du Burkina-Faso à tous les dictateurs africains qui ont fait des modifications constitutionnelles un subterfuge pour se maintenir au pouvoir. Comme lancent ces jeunes Burkinabè : « C’est la révolution de la jeunesse. Et nous, on lance un appel à tous les autres chefs d’État, à toute l’Afrique, de ne plus jamais se hasarder à vouloir changer les constitutions. Et on dit à la jeunesse de toute l’Afrique que le changement est possible. »

Oui, les actes du Burkina-Faso s’adressent aux dirigeants africains, à Paul Biya, président du Cameroun qui a célébré le 06 Novembre prochain son 32ème anniversaire à la tête du Cameroun après avoir passé 7 ans (1975-1982) en tant que Premier Ministre de ce pays.

Les présidents africains qui ont fait de leurs pays un royaume n’ont qu’à bien se tenir. Car le cas Burkinabè est très proche de certaines situations, le Cameroun par exemple. Alors, chers Présidents qui voulez modifier les constitutions, vous éterniser au pouvoir, en 72 heures chrono, la rue burkinabè a poussé Compaoré à la démission. Lui qui se croyait tout puissant, lui qui a remporté les élections présidentielles en 2010 avec 80,15%. Pour ceux qui pensent que ce qui s’est passé au Burkina Faso ne peut pas arriver au Cameroun, ils se trompent. En effet, Paul Biya a remporté la présidentielle de 2011 avec 77, 98% pour un mandat de 7 ans après avoir modifié la constitution en 2008 et passé 29 ans au pouvoir. Des situations qui sont similaires. Tous les Camerounais veulent une transition pacifique, dans les urnes. Mais dans un Etat où le verdict des unes n’est pas toujours celui du peuple, La rue qui est un acteur prend ses responsabilités pour restaurer l’équilibre. Ce qui risque d’arriver dans d’autres pays africains où le pouvoir est devenu la propriété de quelques individus.


L’enfer c’est toujours l’autre (2)

crédit image: pixabay.com
crédit image: pixabay.com

J’ai récemment été témoin d’une affaire banale mais assez significative du mal dans lequel nous entraine cette propension à expliquer notre mal par l’autre.

J’ai emprunté un taxi  à Yaoundé il y’a quelques jours. Alors que le chauffeur du taxi s’apprêtait à déposer une dame, nous écoutions le journal de 17h à la radio . Le journaliste a introduit un papier sur le changement climatique en présentant les méfaits de  ce changement climatique. Par la suite, il a indiqué qu’un sommet de haut niveau allait se tenir a cet effet sur le changement climatique entre les leaders politiques du monde. Sur le champ, la dame qui s’apprête à descendre s’exclame : « c’est même à cause des mauvaises choses qu’ils [les dirigeants] font que ces problèmes [changement climatique] existent. » Avant de finir sa phrase, elle retire l’emballage du bonbon qu’elle suçait et le lance sur le goudron. C’est une illustration parmi tant d’autres.

Ils sont nombreux dans les rues et les lieux publics qui ont fait de ces espaces de véritables poubelles. Ils peuvent y verser tout, parfois même uriner ou déféquer. C’est vrai, certains diront qu’il n’y a pas de bacs à ordures, qu’il n’existe pas de toilettes. C’est à tort dans la mesure où, à plusieurs reprises, j’ai observé des gens lancer ces papiers sur la voie publique alors que le bac à ordures se trouvait à quelques mètres. Et même s’il n’y a pas ces bacs, n’est-il pas mieux de les conserver dans un plastique et mettre dans son sac pour le jeter une fois qu’on a trouvé un bac à ordures ? Ce n’est pas le fait de ne pas jeter dans un bac à ordures qui m’inquiète c’est plutôt le rejet de la responsabilité du changement climatique, du sous-développement sur les autres. Dans le cas de figure qui est cité plus haut, on observe bien que la dame estime que ce sont les autres (les dirigeants) qui en sont responsables. Sur le champ, en jetant l’ordure dans la rue, elle minimise sa responsabilité personnelle. Elle ne se pose pas la question de savoir : si 10, 20, 30, 40 …. Camerounais font comme elle, quel impact ça pourrait avoir sur la qualité de l’environnement ? Elle est plus apte à voir la responsabilité des autres et à minimiser voire ignorer la sienne. C’est bien triste cette réalité qui s’observe à tous les niveaux de la société. Nous posons des actions de sous-développement, des actions qui retardent notre pays mais nous ne voulons jamais commencer par questionner ces actions que nous posons. Il est plus facile pour nous de voir d’abord la responsabilité des autres, de scruter d’abord les facteurs exogènes d’une situation avant de nous interroger sur la nôtre.

Je commence à penser que cette situation cache une paresse générale liée au fait que plusieurs ont la difficulté de se remettre en cause. Pourtant le changement commencera d’abord par le sujet en lui-même. Lorsqu’il voudra changer, son changement individuel contribuera à faire évoluer la communauté. Or si dans une société, personne n’estime qu’il est responsable de quelques échecs que ce soient et que tout le monde pense que c’est l’ennemi extérieur qui agit par voie de manipulation, le progrès sera toujours renvoyé aux calendes grecques.

Se questionner de l’intérieur permet de savoir ce qui n’a pas marché par rapport à ce qu’on attendait. Car, avant une comparaison extérieure, le progrès est d’abord un changement sur soi, une évolution par rapport à une situation personnelle préexistante. Il est normal dans un Etat qu’à un moment, les citoyens se questionnent et questionnent ceux qui les dirigent par rapport aux mandats qui leur  ont été confiés. A la différence du cas évoqué plus haut, apprenons à voir notre responsabilité dans ce qui ne marche pas pour rectifier le tir. C’est là, à mon avis, le principal challenge de l’Afrique aujourd’hui. Penser par elle-même et à partir d’elle. Se questionner d’abord sur sa responsabilité dans ce qu’elle est avant de voir la main de l’ennemi extérieur.

Je terminerai ce billet avec cette belle phrase de Mamadou Diouf à écouter ci-dessous qui dénonce ce déplacement de responsabilité de la part des Africains :

« Pourquoi ne sommes-nous pas capables de prendre en charge nos problèmes? Déplacer la question sur la France coloniale ou néocoloniale est un masque. Et ce masque est devenu malheureusement l’explication la plus facile de ce qui nous arrive. C’est-à-dire, on déplace les responsabilités vers d’autres acteurs qui sont en train de poursuivre leurs intérêts alors que nous, nous ne sommes pas capables de le faire. »


La Démocratie c’est plus que les chiffres, ce sont des valeurs

Crédit photo: pixabay.com
Crédit photo: pixabay.com

Tout le monde à peu près sait ce que c’est que la démocratie. Mais, en réalité, très peu savent les valeurs de fonds qui sous-tendent ce projet. On est plus préoccupé par la quantité, la forme au lieu de la qualité ou le fond.

Depuis que j’écoute les débats dans les chaines de télé au sujet de la démocratie, c’est toujours en termes de nombres de médias créées, les associations qui ont vu le jour, les partis politiques qui sont crées. Mais jamais, on ne fait allusion aux valeurs démocratiques dont la plus importante est l’acceptation de l’autre en tant que singularité différente de moi mais avec qui je dois partager la vie. Cette perspective n’a jamais été évoquée et n’est jamais envisagée. Chacun (y compris moi) est un petit tyran à son niveau qui fait de sa volonté et de ses idées, la volonté de Dieu. Des monologues s’en suivent dans lesquels on n’écoute personne. C’est chacun qui parle et qui estime avoir raison.

Les opinions différentes dérangent, énervent et choquent même parfois. C’est chacun qui veut imposer la sienne et faire régner l’unanimisme. Au niveau national, le différent n’a jamais été envisagé comme un alter ego mais comme un ennemi. C’est la raison pour laquelle depuis les premières heures de la postcolonie, le différent, l’opposant a toujours été appréhendé comme un ennemi. Le vocable utilisé dans les années 1960 était « terroriste » ou encore « maquisard ». L’opposant était un ennemi de la construction nationale par exemple. C’est la raison pour laquelle Ahidjo a uniformisé la vie politique en mettant sur pieds en 1966 le parti unique qu’il appelait « Grand parti national » dans lequel allait se réaliser l’unité nationale. Pour lui, s’il y’avait plusieurs partis, on allait être des ennemis et la nation serait difficilement construite. Après lui, Paul Biya a peut-être ouvert officiellement la vie politique mais ce fut une ouverture quantitative et non qualitative. Il s’est plus intéressé au nombre qu’aux valeurs. Dans le fond, l’esprit est le même. L’opposant ou celui qui pense différemment par rapport aux voies devant conduire à la prospérité est toujours appelé comme un ennemi. En 1992, Paul biya demandait aux Camerounais de choisir entre le « Renouveau » qu’il représentait et le chaos que les autres partis représentaient. Plus proche de nous, les concepts de « Apprentis socrciers », « ennemis de la nation » ou encore « monuments du chaos » sont utilisés par Paul Biya ou ses créatures pour parler de ceux qui ne pensent pas comme eux. L’acceptation de l’autre dans sa singularité, tout simplement parce qu’il est « autre » comme le disait Tzvetan Todorov n’est pas une réalité ou ne préoccupe pas les gens. Ce qui les préoccupe ce sont les chiffres, les nombres, les formes et non les valeurs. Pas que les nombres ne soient pas importants mais ils doivent s’appuyer sur des valeurs

La démocratie a toujours été pensée et expliquée en termes quantitatifs au Cameroun et dans certains pays africains. Plusieurs partis, plusieurs médias, plusieurs associations. Elle n’a jamais été envisagée en termes qualitatifs, en termes de valeurs partagées, de différences acceptées. On s’est plus contenté à travailler pour les chiffres qui ne sont que des éléments de formes et non pour  les valeurs qui sont des éléments de fond. C’est l’une des raisons (importante) pour laquelle la Démocratie ne prend pas corps dans certaines sociétés africaines. Mais comme le montrent de plus en plus les événements, les sociétés africaines sont prêtes à prendre leur destin en main.